Philippe Merieu, candidat du "bien commun"
Mon ami Philippe Merieu est candidat aux prochaines élections régionales en Rhône-Alpes, en tant que tête de liste d'Europe Ecologie.
Il nous livre quelques explications sur le sens de ce nouvel engagement. Ce texte me semble faire écho à bien des préoccupations actuelles. Le voici...
« L’histoire fait quelquefois des cadeaux, mais jamais de sentiment. (…)
Et pourtant, je ne puis me retirer de l’idée que se préparent en sourdine des rendez-vous fabuleux avec de nouvelles vagues de générosité et d’inventivité collectives, avec une volonté inédite des opprimés à sortir d’eux-mêmes, pour endiguer les politiques mortifères des pouvoirs en place et pour réorienter les finalités de l’activité économique et sociale dans des voies plus humaines, moins absurdes. (…)
Alors donc : je confirme et je signe.
Je refuse d’infléchir mes positions antérieures pour les adapter au goût du jour. (…)
Qu’est-ce qui a conduit la gauche à laisser perdre une telle chance, peut-être unique dans l’histoire des cinquante dernières années, de réformer en profondeur une société capitaliste développée, pour y renouveler les formes d’expression démocratique, pour y expérimenter à grande échelle des pratiques sociales émancipatrices, pour y accroître largement les espaces de liberté ? Qu’est-ce qui les a retenus de solliciter, de toutes les couches vivantes qui la composent, une réflexion collective sur les modalités de production, sur les changements à apporter à la vie urbaine, à la communication, à notre rapport au monde et à la nature ? »
Félix Guattari, 1985
(Les Années d’hiver, réédition, Paris,
Les prairies ordinaires, 2009).
Voilà qui est fait ! J’ai franchi le pas et décidé de me présenter aux élections régionales de mars 2010 en Rhône-Alpes, comme tête de liste pour Europe Écologie.
Cette décision s’inscrit, bien sûr, dans un contexte politique particulier : après avoir vécu plusieurs « alternances », je fais partie des Français qui ont été enthousiasmés par la poussée d’Europe Écologie aux élections européennes.
A gauche, évidemment !
D’aucune manière, pourtant, je n’ai jamais pensé que « la gauche et la droite, c’était la même chose ! » Je n’ai jamais cru, non plus, qu’il fallait nous mettre en quête d’une hypothétique voie médiane. « Ni droite, ni gauche » n’a jamais été mon credo ! Je sais, en effet, le poids de l’histoire et je reste fidèle aux valeurs qui, depuis mes premiers engagements, m’ont fait toujours militer et voter « à gauche ». J’assume l’héritage du mouvement ouvrier et je sais que c’est lui qui a porté et fait avancer les valeurs de justice et de solidarité. Je ne renie rien de la filiation qui, de Jaurès à Blum et à Mendès-France, a pris « le parti de l’humain » contre toutes les formes d’oppression et d’aliénation.
J’ai pris ma part, depuis trente ans, dans le travail qu’a fait la gauche française pour tenter de construire des institutions plus démocratiques et plus justes, en particulier - mais pas seulement – dans le service public d’éducation. J’ai apporté loyalement mon soutien aux hommes et aux femmes qui incarnaient pour moi, à un moment donné, l’espérance d’un monde meilleur. J’ai combattu fermement tout ce qui me semblait atteindre gravement à « l’humaine condition » : la réduction de la personne et de son travail à une marchandise ou à un chiffre, l’idéologie du maillon faible et toutes les formes de ségrégation et d’exclusion, l’exaltation de la concurrence et la totémisation de la loi de la jungle, la crétinisation médiatique et la démagogie populiste, les tentations de contrôle et de maîtrise des comportements humains à travers toutes les camisoles possibles.
Chaque fois et tout au long de mes combats, j’ai tenté de prendre le parti du « bien commun » contre la déferlante des intérêts particuliers. Un temps, j’ai cru que le « bien commun » devait s’imposer à tous, naturellement, comme une évidence partagée. Mais j’ai perçu très vite que nul ne pouvait aujourd’hui s’en prétendre détenteur. Car le principal défi ne notre temps consiste justement à articuler la démocratie et la construction de ce « bien commun »… En effet, tant que le « bien commun » était défini, sans discussion possible, par les monarques, les clercs ou les commissaires politiques, nos sociétés pouvaient se donner une cohérence à bon compte : les individus, dès qu’ils s’exprimaient en tant que tels et sortaient du rang, étaient des hérétiques, des dissidents ou des contestataires. Leur parole était combattue et éradiquée d’une manière ou d’une autre. Mais, avec la modernité, l’individu a émergé, porteur d’une revendication majeure : décider lui-même de son histoire personnelle, faire ses propres choix, récuser toute forme d’emprise sur lui. Comme le dit Marcel Gauchet, nous sommes devenus « métaphysiquement démocrates » et nous refusons légitimement qu’on nous impose une conception théocratique de notre bien propre comme du « bien commun ».
Dès lors, un danger menace : l’éclatement de tout collectif sous la force des individualités « libérées ». Danger qui nourrit toutes les formes de reprise en main autoritaristes comme toutes les formes de repliement sur les intégrismes religieux. Danger d’un individualisme triomphant associé à une contention psychique et physique, judiciaire et policière, scolaire et médicale, économique et sociale, médiatique et religieuse… Contre un tel danger – dont l’actualité quotidienne démontre à quel point il est à nos portes – il ne nous reste qu’une hypothèse : réarticuler le « bien commun » et la démocratie. Se donner les moyens de définir ensemble le « bien commun ».
C’est dans cette entreprise que réside, j’en suis certain, l’avenir de la gauche dans ce qu’elle a de meilleur, quand elle associe une foi inébranlable dans les hommes et les femmes et un refus entêté que ce soit les rapports de force qui régissent les agencements collectifs… de la famille à l’État et à la planète, de l’école à l’entreprise et à toutes les collectivités territoriales. La question proprement politique du vingt-et-unième siècle est là : « comment construire ensemble du bien commun ? ». Défi démocratique. Défi écologique. (...)