Paris, jeune public (suite)
Dans un précédent article, je faisait part de quelques réflexions à propos d'un entretien donné à la revue La Scène par Christophe Girard, adjoint au maire de Paris chargé de la culture, concernant la question du "jeune public" dans la capitale. La même revue publie aujourd'hui la réponse approfondie que j'ai rédigée : "Pour le jeune public à Paris". Fidèles (et infidèles) lecteurs de ce blog, voici la primeur de ce texte, largement ouvert au débat public.
Monsieur Christophe Girard, adjoint au maire de Paris,
j’ai souhaité réagir à l’entretien que vous avez donné au magazine La Scène (numéro 51 – décembre 2008) et dans lequel vous évoquez la question du spectacle vivant jeune public à Paris. En 2003, alors que nous avions longuement tenté de convaincre la Ville de Paris et l’Etat de réaliser à Paris un lieu majeur en direction de l’enfance, vous m’aviez confié une mission d’étude concernant le spectacle vivant jeunes publics dans la capitale. Huit mois de travail enthousiaste, de rencontres, de mobilisations, de réflexions avec les responsables des affaires culturelles, avec des artistes, des responsables éducatifs… Au terme de ce processus, je vous remettais un texte intitulé Scènes d’enfances à Paris, indiquant les principaux enjeux de ce domaine et vous suggérant quelques pistes de développement. A la remise de ce document, nous nous étions quittés sur des mots qui résonnent encore à mes oreilles : « l’année prochaine (2004) sera une année de mobilisation. Nous travaillerons avec l’élu à la jeunesse et l’élu à l’éducation… » Depuis, plus rien. Six années de silence, ou presque ! Triste destinée, bien connue des consultants ! Une éphémère Mission jeunes publics fut bien créée mais aussitôt ensablée, faute sans doute d’une volonté politique affirmée. Je me suis abstenu, depuis, de tout commentaire.
Dans le dernier numéro de La Scène, vous revenez sur ce thème du jeune public en affirmant notamment : « Chacun des théâtres municipaux mène une action, comme le Châtelet, le dimanche matin. Je trouve que le public y est plutôt très blanc, venant sans doute des quartiers favorisés. J’ai un projet de «salle immatérielle» pour diffuser sur Internet des spectacles pour ceux qui ne peuvent se payer un billet dans une salle et qui pourront ainsi accéder à cette production…
Je suis d’accord sur le fait que Paris peut mieux faire. Mais l’offre de Paris n’a rien à voir avec celle d’une ville de banlieue qui n’a qu’un théâtre, un musée… Jean-Claude Camus (Théâtre de la Porte Saint Martin) propose des tarifs à 15 euros pour le jeune public. Pour un privé, qui l’assume, c’est un très beau geste. Cela reste 15 euros. C’est impossible pour une famille modeste. Mais ne comparons pas, s’il vous plaît, en termes d’offre, ce dont Paris regorge, comparé à toutes les villes de province ou de banlieue. »
Pour le dire simplement, ces quelques phrases ont heurté profondément le militant de l’éducation artistique et culturelle, mais plus simplement le citoyen, l’éducateur, le parent que je suis, accablé par une telle faiblesse d’analyse et de compréhension de ce qui se joue autour de la question du jeune public. Puisque l’occasion m’en est donnée, je voudrais apporter ici quelques éléments de réflexion que je livre au débat public !
LA BATAILLE DE L’IMAGINAIRE
Dans le monde en bouleversement qui nous entoure, marqué par la marchandisation généralisée des idées, des images et des émotions, exacerbée par la multiplication des représentations de toute nature et par le développement des technologies nouvelles, nous sommes au cœur d’une bataille de l’imaginaire, d’un combat sans merci entre l’œuvre et le produit, entre la complexité artistique et le simplisme du divertissement marchand. Le « temps de cerveau disponible » est désormais la denrée la plus recherchée, sur les chaînes de télévision comme sur d’innombrables sites Internet, pour être vendue aux plus offrants des annonceurs sans vergogne. Bernard Stiegler le rappelle souvent, avec pertinence : « On avilit les gens pour vendre et que tombent toutes barrières à la consommation. Ce système produit ainsi un populisme économique qui est la véritable origine du populisme politique parce qu’il engendre une grande misère symbolique. » Voilà pour le contexte général.
Les plus jeunes d’entre nous, enfants et adolescents, sont les cibles principales de ce matraquage publicitaire (et idéologique), à qui l’on tente d’inculquer dès le plus jeune âge le réflexe du consommateur, sans le moindre souci éducatif. Les éducateurs ont le plus grand mal fixer l’attention des plus jeunes sur les savoirs ou les activités éducatives qu’ils leur proposent de partager. Observons, au passage, que si la publicité est désormais limitée sur les chaînes publiques de télévision, elle demeure avant vingt heures et en matinée, c’est-à-dire aux heures principalement consacrées aux programmes pour la jeunesse. Disposition hautement signifiante, récemment dénoncée par mon ami Philippe Meirieu . Chacun sait, d’expérience, combien les enfants sont sensibles, de plus en plus jeunes, aux sollicitations commerciales comme aux violences diverses, réelles ou symboliques, qui leur sont proposées : images de guerre, de mort, de pornographie… En vérité, c’est leur enfance même qu’on leur vole, sans état d’âme ! Voilà pour l’enjeu principal.
UN MOUVEMENT INTERNATIONAL
En France, comme dans de nombreux pays du monde, des artistes (de théâtre mais également de la chanson, de la danse, de la littérature, du cinéma…) associés à des éducateurs, enseignants ou militants éducatifs progressistes, comme à des responsables culturels engagés, ont développé depuis des années un mouvement artistique original qui s’adresse en priorité à l’enfance. Recherches, créations, structures, compagnies, réflexions, colloques, publications, festivals, formations… Les initiatives n’ont pas manqué pour faire de ce que l’on nomme le jeune public, un secteur majeur du travail culturel, au carrefour de l’art et de l’éducation. Des réalisations significatives ont vu le jour : à Lyon, à Lille, à Marseille, à Reims, à Quimper, à Strasbourg, des structures spécialisées travaillent sur ces questions. A Sevran, à Montreuil, à Sartrouville, à Nanterre, à Saint-Denis des municipalités de banlieues s’engagent sur ce secteur. Au Québec (la Maison Théâtre de Montréal), en Belgique (la Montagne magique à Bruxelles), en Italie, en Suède, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark… ont émergé des projets significatifs de très grande qualité. Bref, il existe aujourd’hui un véritable mouvement international, à la fois artistique et éducatif, qui se tourne vers l’enfance. Voilà pour les faits.
Au-delà des milieux spécialisés, de plus en plus de responsables culturels, éducatifs et politiques prennent conscience de l’importance de ce domaine. Un grand nombre de structures culturelles s’attachent aujourd’hui à inscrire tout ou partie de leur action en direction de l’enfance. Les politiques eux-mêmes s’intéressent à la chose. La dernière campagne présidentielle a montré combien l’ensemble des courants politiques de notre pays inscrivait l’éducation artistique comme une priorité - parfois la seule idée ! - d’une politique culturelle à venir. Les ministères de la culture et de l’éducation nationale affichent désormais (au moins dans les mots, car l’action est plus douteuse) cette priorité. Nombre de collectivités territoriales ont également pris la mesure de ces enjeux, qui se mobilisent autour de ce thème. Les villes d’Annecy et de Nanterre proposent depuis longtemps des parcours culturels aux enfants des écoles ; celle Toulouse reprend aujourd’hui une proposition similaire dans son nouveau projet culturel ; la ville de Lyon s’attache plus particulièrement à la petite enfance ; le département de Loire-Atlantique a mis en place un programme d’éducation artistique volontariste dans l’ensemble des collèges… J’en passe ! Voilà pour l’évolution.
UN ENJEU POUR PARIS
Or, dans ce contexte général, la Ville de Paris est restée quasiment sourde et aveugle à ces préoccupations. La majorité municipale à laquelle vous appartenez n’a pas été à ce jour, plus que la précédente, à la hauteur des enjeux évoqués. Le mouvement artistique tourné vers les jeunes publics est resté bloqué aux portes de la ville et les murs des boulevards périphériques paraissent infranchissables. Aucune politique ambitieuse, à la mesure d’une ville capitale, n’a été envisagée. Aucune structure, aucun dispositif, aucun budget significatif, aucune aide véritable à la création, aucun temps fort d’envergure, aucun travail de formation des accompagnateurs… Et ce n’est pas le soutien modeste apporté à quelques aventures méritoires (Théâtre Dunois, Théâtre de l’Est Parisien, Festival Escapades…), moins encore, vous en convenez, l’expérience que vous citez (le théâtre de la Porte Saint-Martin à 15€ la place !) qui masqueront une situation quasi désertique. Voilà pour le constat !
J’ajoute, puisque vous y faites allusion, deux mots sur votre projet de « salle immatérielle » qui devrait permettre aux enfants pauvres de voir sur Internet les spectacles que les enfants riches verraient dans les salles. Outre que je n’imagine pas une seconde les enfants de mon quartier, Belleville ou Ménilmontant, se précipitant sur les ordinateurs - qu’ils n’ont pas - pour assister à des spectacles… qu’ils ignorent, avez-vous réellement mesuré le sens de cette proposition ? On pourrait suggérer aussi un « restaurant immatériel » qui permettrait à ceux qui ont faim de voir, en direct sur Internet, ce que d’autres ont dans leurs assiettes ? Trêve d’ironie, allons à l’essentiel !
Vos priorités depuis 2002 ont été, comme le font d’ailleurs la plupart des responsables depuis des décennies, à la consolidation de l’offre artistique, à la mise en œuvre de nouvelles structures (le 104, Trois Baudets, Métallos, Gaîté Lyrique…), à une meilleure répartition territoriale. Soit ! Ces éléments sont sans doute justifiés et probablement utiles, l’avenir le dira. Ils ne font cependant qu’ajouter des dispositifs aux dispositifs, des structures aux structures, sans se préoccuper véritablement des dispositions des gens à se les approprier, notamment les plus éloignés pour des raisons sociales, culturelles ou générationnelles. Or, sans initiation, sans sensibilisation, sans formation des nouveaux publics, et avant tout des plus jeunes, les mêmes causes produiront inévitablement les mêmes effets. A savoir, une démocratisation toujours limitée et une reproduction sociologique permanente des publics concernés.
Pour toutes ces raisons, et quelques autres, c’est une véritable « politique de l’enfant spectateur » que je vous invitais à réaliser dès 2003, et que je réitère ici, pour faire de Paris une capitale de l’enfance et de la culture. Les idées ne manquent pas, elles ont été maintes fois formulées : aider résolument la recherche et la création, soutenir véritablement un réseau de lieux et d’actions de qualité, mobiliser les théâtres municipaux, former les animateurs de centres de loisir, mobiliser les enseignants et les parents, accueillir les aventures les plus significatives du monde, organiser un temps fort pertinent, faire de ce thème un élément majeur du « Grand Paris »… Bref, mener une politique du jeune public ambitieuse, innovante et volontariste, à la mesure de la capitale et des enjeux évoqués. Il y a urgence !
Suite à la publication de votre entretien, j’avais rédigé sur mon blog un billet d’humeur auquel vous avez bien voulu répondre, m’informant de quelques projets en cours : « faire du jeune public un axe central de la réforme des théâtres municipaux… lancer une étude sur l’opportunité et les modalités de création d’un Théâtre européen pour le jeune public à Paris… développer le schéma «école et culture» notamment pas le biais de jumelages entre établissements scolaires et établissements culturels… ». Dont acte ! Je note cependant que ces propositions n’apparaissaient nullement dans votre entretien à la Scène et qu’elle ne modifient en rien, sur le fond, les réflexions ci-dessus. Si ces quelques arguments peuvent inciter à poursuivre l’effort et aider à convaincre vos collègues d’y accorder les moyens nécessaires, ce petit texte ne sera peut-être pas inutile.
Télécharger le texte en PDFj’ai souhaité réagir à l’entretien que vous avez donné au magazine La Scène (numéro 51 – décembre 2008) et dans lequel vous évoquez la question du spectacle vivant jeune public à Paris. En 2003, alors que nous avions longuement tenté de convaincre la Ville de Paris et l’Etat de réaliser à Paris un lieu majeur en direction de l’enfance, vous m’aviez confié une mission d’étude concernant le spectacle vivant jeunes publics dans la capitale. Huit mois de travail enthousiaste, de rencontres, de mobilisations, de réflexions avec les responsables des affaires culturelles, avec des artistes, des responsables éducatifs… Au terme de ce processus, je vous remettais un texte intitulé Scènes d’enfances à Paris, indiquant les principaux enjeux de ce domaine et vous suggérant quelques pistes de développement. A la remise de ce document, nous nous étions quittés sur des mots qui résonnent encore à mes oreilles : « l’année prochaine (2004) sera une année de mobilisation. Nous travaillerons avec l’élu à la jeunesse et l’élu à l’éducation… » Depuis, plus rien. Six années de silence, ou presque ! Triste destinée, bien connue des consultants ! Une éphémère Mission jeunes publics fut bien créée mais aussitôt ensablée, faute sans doute d’une volonté politique affirmée. Je me suis abstenu, depuis, de tout commentaire.
Dans le dernier numéro de La Scène, vous revenez sur ce thème du jeune public en affirmant notamment : « Chacun des théâtres municipaux mène une action, comme le Châtelet, le dimanche matin. Je trouve que le public y est plutôt très blanc, venant sans doute des quartiers favorisés. J’ai un projet de «salle immatérielle» pour diffuser sur Internet des spectacles pour ceux qui ne peuvent se payer un billet dans une salle et qui pourront ainsi accéder à cette production…
Je suis d’accord sur le fait que Paris peut mieux faire. Mais l’offre de Paris n’a rien à voir avec celle d’une ville de banlieue qui n’a qu’un théâtre, un musée… Jean-Claude Camus (Théâtre de la Porte Saint Martin) propose des tarifs à 15 euros pour le jeune public. Pour un privé, qui l’assume, c’est un très beau geste. Cela reste 15 euros. C’est impossible pour une famille modeste. Mais ne comparons pas, s’il vous plaît, en termes d’offre, ce dont Paris regorge, comparé à toutes les villes de province ou de banlieue. »
Pour le dire simplement, ces quelques phrases ont heurté profondément le militant de l’éducation artistique et culturelle, mais plus simplement le citoyen, l’éducateur, le parent que je suis, accablé par une telle faiblesse d’analyse et de compréhension de ce qui se joue autour de la question du jeune public. Puisque l’occasion m’en est donnée, je voudrais apporter ici quelques éléments de réflexion que je livre au débat public !
LA BATAILLE DE L’IMAGINAIRE
Dans le monde en bouleversement qui nous entoure, marqué par la marchandisation généralisée des idées, des images et des émotions, exacerbée par la multiplication des représentations de toute nature et par le développement des technologies nouvelles, nous sommes au cœur d’une bataille de l’imaginaire, d’un combat sans merci entre l’œuvre et le produit, entre la complexité artistique et le simplisme du divertissement marchand. Le « temps de cerveau disponible » est désormais la denrée la plus recherchée, sur les chaînes de télévision comme sur d’innombrables sites Internet, pour être vendue aux plus offrants des annonceurs sans vergogne. Bernard Stiegler le rappelle souvent, avec pertinence : « On avilit les gens pour vendre et que tombent toutes barrières à la consommation. Ce système produit ainsi un populisme économique qui est la véritable origine du populisme politique parce qu’il engendre une grande misère symbolique. » Voilà pour le contexte général.
Les plus jeunes d’entre nous, enfants et adolescents, sont les cibles principales de ce matraquage publicitaire (et idéologique), à qui l’on tente d’inculquer dès le plus jeune âge le réflexe du consommateur, sans le moindre souci éducatif. Les éducateurs ont le plus grand mal fixer l’attention des plus jeunes sur les savoirs ou les activités éducatives qu’ils leur proposent de partager. Observons, au passage, que si la publicité est désormais limitée sur les chaînes publiques de télévision, elle demeure avant vingt heures et en matinée, c’est-à-dire aux heures principalement consacrées aux programmes pour la jeunesse. Disposition hautement signifiante, récemment dénoncée par mon ami Philippe Meirieu . Chacun sait, d’expérience, combien les enfants sont sensibles, de plus en plus jeunes, aux sollicitations commerciales comme aux violences diverses, réelles ou symboliques, qui leur sont proposées : images de guerre, de mort, de pornographie… En vérité, c’est leur enfance même qu’on leur vole, sans état d’âme ! Voilà pour l’enjeu principal.
UN MOUVEMENT INTERNATIONAL
En France, comme dans de nombreux pays du monde, des artistes (de théâtre mais également de la chanson, de la danse, de la littérature, du cinéma…) associés à des éducateurs, enseignants ou militants éducatifs progressistes, comme à des responsables culturels engagés, ont développé depuis des années un mouvement artistique original qui s’adresse en priorité à l’enfance. Recherches, créations, structures, compagnies, réflexions, colloques, publications, festivals, formations… Les initiatives n’ont pas manqué pour faire de ce que l’on nomme le jeune public, un secteur majeur du travail culturel, au carrefour de l’art et de l’éducation. Des réalisations significatives ont vu le jour : à Lyon, à Lille, à Marseille, à Reims, à Quimper, à Strasbourg, des structures spécialisées travaillent sur ces questions. A Sevran, à Montreuil, à Sartrouville, à Nanterre, à Saint-Denis des municipalités de banlieues s’engagent sur ce secteur. Au Québec (la Maison Théâtre de Montréal), en Belgique (la Montagne magique à Bruxelles), en Italie, en Suède, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark… ont émergé des projets significatifs de très grande qualité. Bref, il existe aujourd’hui un véritable mouvement international, à la fois artistique et éducatif, qui se tourne vers l’enfance. Voilà pour les faits.
Au-delà des milieux spécialisés, de plus en plus de responsables culturels, éducatifs et politiques prennent conscience de l’importance de ce domaine. Un grand nombre de structures culturelles s’attachent aujourd’hui à inscrire tout ou partie de leur action en direction de l’enfance. Les politiques eux-mêmes s’intéressent à la chose. La dernière campagne présidentielle a montré combien l’ensemble des courants politiques de notre pays inscrivait l’éducation artistique comme une priorité - parfois la seule idée ! - d’une politique culturelle à venir. Les ministères de la culture et de l’éducation nationale affichent désormais (au moins dans les mots, car l’action est plus douteuse) cette priorité. Nombre de collectivités territoriales ont également pris la mesure de ces enjeux, qui se mobilisent autour de ce thème. Les villes d’Annecy et de Nanterre proposent depuis longtemps des parcours culturels aux enfants des écoles ; celle Toulouse reprend aujourd’hui une proposition similaire dans son nouveau projet culturel ; la ville de Lyon s’attache plus particulièrement à la petite enfance ; le département de Loire-Atlantique a mis en place un programme d’éducation artistique volontariste dans l’ensemble des collèges… J’en passe ! Voilà pour l’évolution.
UN ENJEU POUR PARIS
Or, dans ce contexte général, la Ville de Paris est restée quasiment sourde et aveugle à ces préoccupations. La majorité municipale à laquelle vous appartenez n’a pas été à ce jour, plus que la précédente, à la hauteur des enjeux évoqués. Le mouvement artistique tourné vers les jeunes publics est resté bloqué aux portes de la ville et les murs des boulevards périphériques paraissent infranchissables. Aucune politique ambitieuse, à la mesure d’une ville capitale, n’a été envisagée. Aucune structure, aucun dispositif, aucun budget significatif, aucune aide véritable à la création, aucun temps fort d’envergure, aucun travail de formation des accompagnateurs… Et ce n’est pas le soutien modeste apporté à quelques aventures méritoires (Théâtre Dunois, Théâtre de l’Est Parisien, Festival Escapades…), moins encore, vous en convenez, l’expérience que vous citez (le théâtre de la Porte Saint-Martin à 15€ la place !) qui masqueront une situation quasi désertique. Voilà pour le constat !
J’ajoute, puisque vous y faites allusion, deux mots sur votre projet de « salle immatérielle » qui devrait permettre aux enfants pauvres de voir sur Internet les spectacles que les enfants riches verraient dans les salles. Outre que je n’imagine pas une seconde les enfants de mon quartier, Belleville ou Ménilmontant, se précipitant sur les ordinateurs - qu’ils n’ont pas - pour assister à des spectacles… qu’ils ignorent, avez-vous réellement mesuré le sens de cette proposition ? On pourrait suggérer aussi un « restaurant immatériel » qui permettrait à ceux qui ont faim de voir, en direct sur Internet, ce que d’autres ont dans leurs assiettes ? Trêve d’ironie, allons à l’essentiel !
Vos priorités depuis 2002 ont été, comme le font d’ailleurs la plupart des responsables depuis des décennies, à la consolidation de l’offre artistique, à la mise en œuvre de nouvelles structures (le 104, Trois Baudets, Métallos, Gaîté Lyrique…), à une meilleure répartition territoriale. Soit ! Ces éléments sont sans doute justifiés et probablement utiles, l’avenir le dira. Ils ne font cependant qu’ajouter des dispositifs aux dispositifs, des structures aux structures, sans se préoccuper véritablement des dispositions des gens à se les approprier, notamment les plus éloignés pour des raisons sociales, culturelles ou générationnelles. Or, sans initiation, sans sensibilisation, sans formation des nouveaux publics, et avant tout des plus jeunes, les mêmes causes produiront inévitablement les mêmes effets. A savoir, une démocratisation toujours limitée et une reproduction sociologique permanente des publics concernés.
Pour toutes ces raisons, et quelques autres, c’est une véritable « politique de l’enfant spectateur » que je vous invitais à réaliser dès 2003, et que je réitère ici, pour faire de Paris une capitale de l’enfance et de la culture. Les idées ne manquent pas, elles ont été maintes fois formulées : aider résolument la recherche et la création, soutenir véritablement un réseau de lieux et d’actions de qualité, mobiliser les théâtres municipaux, former les animateurs de centres de loisir, mobiliser les enseignants et les parents, accueillir les aventures les plus significatives du monde, organiser un temps fort pertinent, faire de ce thème un élément majeur du « Grand Paris »… Bref, mener une politique du jeune public ambitieuse, innovante et volontariste, à la mesure de la capitale et des enjeux évoqués. Il y a urgence !
Suite à la publication de votre entretien, j’avais rédigé sur mon blog un billet d’humeur auquel vous avez bien voulu répondre, m’informant de quelques projets en cours : « faire du jeune public un axe central de la réforme des théâtres municipaux… lancer une étude sur l’opportunité et les modalités de création d’un Théâtre européen pour le jeune public à Paris… développer le schéma «école et culture» notamment pas le biais de jumelages entre établissements scolaires et établissements culturels… ». Dont acte ! Je note cependant que ces propositions n’apparaissaient nullement dans votre entretien à la Scène et qu’elle ne modifient en rien, sur le fond, les réflexions ci-dessus. Si ces quelques arguments peuvent inciter à poursuivre l’effort et aider à convaincre vos collègues d’y accorder les moyens nécessaires, ce petit texte ne sera peut-être pas inutile.
Jean-Gabriel Carasso
(dans la revue La Scène n°52, Printemps 2009)
(dans la revue La Scène n°52, Printemps 2009)