Enseigner et désobéir

Publié le par JGC

C'est la rentrée scolaire. Parlons éducation.

Depuis plusieurs mois, des enseignants refusent de mettre en place la réforme imposée par le précédent ministre Darcos, concernant notamment le soutien scolaire individualisé. Alain Refalo a préféré consacrer les deux heures prévues à une activité de théâtre avec l’ensemble de la classe. Autour de lui, un « mouvement des enseignants du primaire en résistance » s’organise et argumente.

Hier, dans un excellent journal du matin on pouvait lire sous sa plume :

«La désobéissance n’est pas compatible avec les valeurs de l’éducation, avec l’idée que je me fais du métier d’enseignant», a déclaré récemment Luc Chatel. Cette déclaration, qui a l’apparence de l’évidence, mérite réflexion.

Certes, l’obéissance aux lois et aux règles qui fondent le droit et la justice est nécessaire dans toute société démocratique. Et nous avons à cœur, tout particulièrement à l’école primaire, d’élaborer avec nos élèves des lois et des règles, justes, équitables et utiles au vivre ensemble. Apprendre à nos élèves à les respecter s’inscrit dans un projet éducatif qui prend en compte la dimension relationnelle inhérente à toute situation d’enseignement. Mais vouloir «inculquer» l’obéissance, c’est rendre acceptable la soumission inconditionnelle, c’est inciter à renoncer à tout jugement personnel. Est-ce compatible avec la formation d’individus responsables ? Nous ne le pensons pas.

Comment apprendre aux enfants à dire «non» lors de situations de racket, ou lorsqu’ils font face à des intentions malveillantes d’adultes, s’ils grandissent dans une culture de l’obéissance sans discernement ?

Il semble en réalité que M. Chatel confonde deux notions qu’il convient de distinguer : l’autorité, nécessaire à tout enseignement et l’autoritarisme, abus de pouvoir contraire au principe même de l’éducation. A l’école, l’autorité éducative est fondée sur une parole et une attitude du maître, respectueuses de l’élève, qui doivent notamment lui faire comprendre le bien fondé de l’obéissance aux règles de vie communes. Elle est une alternative à la permissivité et à l’autoritarisme. Cette autorité de l’adulte, nécessaire à la structuration de la personnalité de l’enfant, ne saurait donc résulter d’un rapport de domination-soumission entre l’adulte et l’enfant, qui est la marque de l’autoritarisme. Le maître qui abuse du pouvoir que lui confère son statut utilise la contrainte pour obliger l’élève à obéir. Il fait le choix de la punition (du latin punire, «se venger»), et non de la sanction éducative qui vise à responsabiliser l’enfant et lui permettre d’être accepté par le groupe.

C’est précisément cet abus qui est la marque de notre institution aujourd’hui envers les enseignants du primaire qui contestent des «réformes» élaborées sans concertation et imposées à la hussarde. Cet autoritarisme suscite tantôt la soumission des enseignants, tantôt leur révolte.

Notre résistance à des dispositifs pédagogiques néfastes, parfois inapplicables et qui contribuent à déconstruire l’école publique, est obéissance aux principes d’égalité, de liberté et de fraternité qui fondent la République. Elle s’appuie tout particulièrement sur la liberté pédagogique inscrite dans la loi. «Le professeur des écoles ne saurait être un simple exécutant», est-il énoncé dans les nouveaux programmes. Si ces mots ont un sens, le ministre doit faire respecter la loi et reconnaître que les enseignants qui n’appliquent pas à la lettre certains dispositifs pédagogiques tout en mettant en place des alternatives efficaces et reconnues sont parfaitement dans leur droit.

Nous rappellerons utilement que 70 % des enseignants du primaire ne respectent pas l’interdiction formelle de donner des devoirs écrits à la maison, interdiction martelée par une dizaine de circulaires depuis quarante ans. Désobéissance non revendiquée, mais tolérée par l’institution… Un élève du primaire ne serait-il pas en droit de refuser les devoirs écrits et de désobéir ? Devra-t-il être puni pour son refus d’obéissance ? Des règles justes, de la considération, voilà ce qui suscitera «l’obéissance» des élèves. Les enseignants doivent être exemplaires sur ce point.

Et si M. Chatel souhaite que les enseignants obéissent, il doit signer, en rupture avec son prédécesseur, des décrets et des arrêtés porteurs de progrès pour l’école publique. Car là où règnent la justice et le respect, la désobéissance est sans objet, tant pour les adultes que pour les élèves. »

 

On approuve ! Enseigner et désobéir : beau sujet de philo pour la formation des enseignants !

 

Pour en savoir plus : Le site des enseignants du primaire en résistance

 

Voir aussi "En conscience, je refuse d'obéir", entretien avec Alain Refalo

 

Publié dans ACTUALITES

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