Tous aux Abris ! débat sur les cultures
Mon ami Alain Lievaux, qui fut notamment directeur d'un théâtre dans les quartiers Nord de Marseille, apporte sa pierre au débat sur les questions culturelles dans un texte intitulé : "La place du poète dans la société." Je vous l'offre !
Si la culture est au cœur de la politique, je crois qu’il faut minimiser alors le rôle du ministère de la culture lui ôter la communication et mettre dans chaque ministère une présence active culturelle et un budget adéquat notamment au centre du ministère de l’éducation nationale. Il faut en même temps donner aux collectivités locales et territoriales l’égal partage des choix en matière d’art et de culture. Il faut que s’organise non pas un mille-feuille, mais au contraire des choix négociés et discutés. J’ai bien conscience qu’aujourd’hui la décentralisation est le fait de l’état dont dépend le financement des collectivités locales et territoriales.
(À propos de communication: faire une loi interdisant que soit mis de l’argent public dans ce que l’on nomme aujourd’hui la communication et ce dans tous les ministères, les conseils généraux et régionaux, villes et villages et bien sûr l’Elysée. Le travail des élus, des ministres et du président n’est pas marchandisable. L’Assemblée nationale est notre organisme de contrôle et de vérification.).
Et il reste l’affaire de l’art, l’art et la culture sont tellement proches dans les discours et les pratiques actuelles que parfois nous prenons l’un pour dire l’autre et cela embrouillaminise la pensée.
La culture est ce qui construit et constitue, au travers d’apports multiples d’une part, l’être humain dans sa singularité mais aussi dans son appartenance plus ou moins active à un groupe dit culturo-social, pour aller vite (ethnicité, religion et autres sont toutes des composantes de la culture bien évidemment).
LA culture n’existe donc pas, il y a DES cultures et nul ne doit s’aviser de porter LA culture dans quelque endroit que ce soit, auprès de qui que ce soit. Il ne doit pas exister de missions culturelles.
L’art est l’expression propre et subjective d’un être unique, le poète, de sa vision du monde questionnant et se cognant librement, avec vigueur à tout essai d’objectivité et d’aliénation de la pensée organisée et rationnelle propre à toute organisation sociale.
La culture sans art n’est que la mise en place d’un code moralisateur de bonne conduite en société, se disant objectif, et nombre de ceux qui alors se disent artistes ne sont que des instruments de cette pensée unique ne propageant que des réponses sans appel ou encore du divertissement sans grâce.
Le poète, qu’il soit peintre, écrivain, danseur, musicien ou autre est à la fois comme tout-un- chacun présent dans l’espace social, mais sa vie est souvent entièrement dévolue à la pratique dévorante de faire expression de sa pensée se frottant sans cesse à sa sensibilité. Il peut être drôle et plaisant aussi.
Si tout le monde peut créer, peut se dire artiste, le poète lui, est celui qui vit dans cet équilibre d’entre vie et mort, qui l’exprime et qui, s’il s’éloigne de cette tension disparaît, meurt.
Naît-on poète, le devient-on, l’est-on toute sa vie ?
La question aujourd’hui que nous devons nous poser est bien celle de la place du poète dans nos vies, dans notre société, dans nos sociétés.
Quelle est sa place, tout d’abord auprès du monde artistique et culturel, de tous ceux qui sont en sorte des médiateurs, des passeurs de l’art et des paroles poétiques. Le poète inquiète par sa liberté que les gens de culture s’emploient parfois, assez souvent à camoufler derrière une médiation, permettant à leur public de n’en n’être point effrayé, et de remplir alors les salles dans un consumérisme calme et sans craintes.
Il faut s’assurer, qu’avec l’argent public, les gens de culture soient bien avec le poète.
Le poète doit être avec le monde, il faut retrouver ce voisinage, cette proximité perdue, confisquée parfois par ceux-là même qui prônent sa révélation en excluant une grande partie des gens. Nous avons fait un retour en arrière et nos institutions sont devenues des lieux bourgeois, des lieux d’exclusion, des coteries où s’épanouit l’entre soi (c’est peut-être un peu sévère, mais à peine).
Le poète a-t-il besoin de médiateurs ? Les gens sont-ils à ce point insensibles et niaiseux ?
Bien sûr, la connaissance des œuvres, leur histoire permet aux uns et aux autres une appréciation différente peut-être plus passionnante de l’art vivant en mouvement, mais chacun doit pouvoir se saisir de cet enrichissement notamment à l’école et plus après aussi.
“Se prendre le truc en pleine poire, c’est génial et bien mieux qu’une explication de texte“
dit Léa, après avoir vu Le Préau d’un seul de JM. Bruyère au festival IN d’Avignon en 2009.
(Il est évident que la confrontation des points de vue après la vision ou l’écoute d’une œuvre est très enrichissante.)
Il faut rompre radicalement avec deux pratiques bien ancrées :
Combler le fossé créé entre amateurs et professionnels. Il y a plutôt une pratique commune de l’art, de la créativité. Les uns et les autres questionnent une pratique qu’ils mettent à des niveaux d’investissement différent, mais dont le sens est commun, partagé. Ils se nourrissent et s’enrichissent mutuellement. Il faut que les pratiques amateurs, mais aussi scolaires, universitaires questionnent et alimentent les pratiques professionnelles et vice-versa. Amateurs et professionnels doivent se retrouver au sein d’un même ministère non pas de tutelle, mais de questionnement. Il faut supprimer cette notion de tutelle pour des pratiques poétiques de l’art et de la culture. Inventons le ministère du questionnement.
Il faut rompre avec la hiérarchisation des artistes dans les institutions. Il est dans les esprits de toutes et tous, gens de culture, artistes que les pratiques s’appuient sur une ascension sociale et que la fin d’une carrière, drôle de mot, se situe en haut de l’affiche et dans un lieu de référence national voire international, avec le salaire qui va avec bien entendu.
Cela questionne bien évidemment le rôle de ce que l’on nomme l’institution. Si l’institution est garante, de la bonne ou encore de la meilleure utilisation de l’argent publique, elle doit le faire dans le cadre strict de la définition de choix politique effectué par les gens, en relation directe avec les artistes, gens de culture et poètes et mis en place par les élus. L’institution ne doit pas être l’instrument du prémachage en vue de choix politique. Là encore la notion de tutelle doit disparaître.
Les artistes et gens de culture ne doivent pas être assimilable à des salariés de la fonction publique. (Il faut observer aujourd’hui le devenir du fonctionnement et des nominations dans les EPCC !)
Si les poètes n’ont pas de patrie, de pays, s’ils sont universels, les artistes et gens de culture sont attachés parfois et pour des temps plus ou moins définis à un territoire. Il faut entendre par territoire les gens. Les habitants sont le territoire.
Il faut rompre là aussi, rompre avec toute forme d’organisation centralisé de l’art et de la culture. Si l’on peut être d’accord avec une centralité quant à une forme de programme d’instruction nationale, faire en sorte que partout en France l’enseignement soit le même dans ses fondamentaux, il n’en va pas de même pour la culture et l’art. L’art n’ayant lui, pas de patrie, dépassant quelques frontières que ce soit, la culture, elle, est l’expression des géographies, des us et coutumes vivantes certes mais identifiées. Nous sommes bien en présence DES cultures. De plus chaque personne est porteuse d’une culture, de sa propre expression culturelle et, se déplaçant, promène et frotte sa culture aux autres cultures en présence.
Si au XIXe siècle, la France jacobine a triomphé créant une identité française en interdisant aux bretons par exemple de “ parler Breton et de cracher par terre “, aujourd’hui nous sommes dans la reconnaissance de ces cultures et de leurs langues et patois. Dans le cadre du développement de l’Europe, il semble que l’heure ne devrait pas être au repli soi-disant identitaire (quelle identité ?) mais au contraire à la circulation et aux rencontres des cultures dépassant ainsi tout forme de repli frileux et créant d’autres formes métissées et enrichies de culture.
Donc rompre avec cette organisation centralisée et hiérarchisée de la culture institutionnelle.
D’une manière générale, il faudrait bien que tout parte des gens, des citoyens, renouer avec un mode associatif qui s’est trop bien adapté au monde capitaliste et libéral. L’association n’est plus qu’un statut juridique comme un autre. (Nombre d’associations, y compris culturelles, ne sont plus que des entreprises manageant leur personnel avec un certain cynisme et parfois avec une parfaite violence)
Il faut alors que les collectivités territoriales (ce qu’elle vont devenir ?) avec les collectivités locales se saisisse de l’activité culturelle et artistique. Il faut que ces élus rencontre les gens de culture et les artistes pour ensemble permettre alors la rencontre de toutes et tous, dans une démocratisation (c’est bien l’utilité des financements publics non ? regardons aujourd’hui les tarifs, n’excluent-ils pas plus qu’ils ne réunissent ?) affirmée et réelle, avec les poètes.
En matière d’art et de culture, l’état, les collectivités plus encore les institutions devraient plutôt être à l’écoute des gens, des artistes et des poètes .
C’est à partir de statut et des régimes sociaux y afférents des gens de culture et des artistes, mais aussi des poètes que doit s’organiser la vie artistique et culturelle. Il n’est pas possible de continuer sur la base d’une précarisation (annexes 8 et 10)des artistes ou sur leur marchandisation (valeur bankable) pour faire vivre l’art et la culture. Les artistes et gens de culture doivent pouvoir vivre de leur travail tout comme les poètes. Ce doit être un devoir de l’état et des diverses collectivités que de pourvoir à cela.
Il faut dans un premier temps supprimer tout ce qui est de l’ordre de l’institution d’état tel que les scènes nationales, centre dramatiques et chorégraphiques, scènes labellisées diverses et variées. Tout ce qui est du seul ressort des villes restant l’affaire des villes.
Il faut transformer une bonne partie de ces lieux en lieu dit :Abri, abris d’artistes. Et ce, dans le cadre de projets pluridisciplinaires (Spectacle vivant, théâtre, danse, musique, image, cinéma, art plastique…). Ces lieux seraient mis à disposition de collectifs d’artistes (toutes pratiques confondues) pour des durées négociées qui ne pourront excéder 10 ans. Ces espaces seraient des lieux partagés de travail et de représentations, d’expositions. Ils devraient être ouvert 7 jours sur 7 et durant les vacances aux populations et aux pratiques amateurs ainsi que scolaire et universitaire. Ces lieux ne seraient pas des lieux de seule programmation et encore moins des lieux de commerce. Ici serait pratiqué un tarif unique et le plus bas possible de l’ordre de 5 €.
Les représentations devraient s’inscrire sur de longues durées. Dans le cas de tournées en d’autres lieux voire à l’étranger, seuls les frais réels seraient pris en compte et facturés, les salaires des artistes étant pris en charge mensuellement par le budget du refuge. Les artistes et gens de culture travaillant pour ces Abris ne pourraient pas être rémunéré pour d’autres tâches, pas de cumul de salaire. Des conventions salariales devraient pouvoir être négocié avec des écarts maximums de salaire, de l’ordre de 1 à 5.
Ces Abris seraient confiés et créés par les élus territoriaux et municipaux en fonction des équipes et de leurs projets. Ces projets devraient nécessairement prendre en compte la réalité des territoires sur lesquels seraient implantés ces refuges. Ces Abris seraient aux bons soins des gens, des habitants. Les budgets devraient correspondre à la réalité chiffrée préalablement du projet (pas de discussion de chiffonniers). L’état participerait au fonctionnement de ces refuges et le ferait afin de compenser les inégalités territoriales.
Seraient accolés à ces Abris, dans un cadre conventionnel avec l’ensemble des établissements scolaires, des lieux d’enseignement de pratiques artistiques. Il a, depuis de longues années, été proposé et discuté le partage du temps de l’enfant entre l’instruction, l’enseignement et d’autres activités, le plus souvent sportif. Sans rentrer ici dans l’espace institutionnel de l’éducation, il serait précieux qu’il puisse exister un temps long et quotidien de pratiques artistiques et de fréquentation des œuvres.
Non, l’art n’est ni une cerise sur un gâteau, ni un supplément d’âme. L’art est cet espace qui existe entre l’œuvre et celui qui s’en saisi. L’art est un révélateur de la connaissance de soi.
Bon tout cela est un petit peu mis bout à bout et doit être discuté voire affiné. Ce n’est qu’un texte participatif.
Alain Liévaux
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