Pour une éducation créative
Le texte ci-dessous fait suite à notre participation à la journée de concertation organisée par le ministère de l'Education nationale, dans le cadre des débats sur la Refondation de l'école, le 19 septembre 2012.
Contribution au débat sur l’éducation artistique et culturelle
Inscrit par le Président de la République comme un élément essentiel de son projet, objet d’une priorité affichée de la ministre de la Culture et de la communication, thème de travail du projet de Refondation de l’école par le ministre de l’Education nationale… plus que jamais, l’éducation artistique et culturelle est à l’ordre du jour. Ce sujet devrait connaître dans les mois qui viennent une étape nouvelle de son histoire, déjà longue. En guise de contribution aux débats publics engagés par les ministères de l’Education nationale et de la Culture, quelques réflexions et propositions.
1/ Pourquoi ce thème aujourd’hui ?
Rappeler d’abord que la nécessité d’une éducation artistique et culturelle plus forte, plus dynamique, plus ouverte, est un sujet récurrent depuis plusieurs dizaines d’années, en France et dans bien d’autres pays. Si elle prend aujourd’hui un aspect plus urgent, c’est sans doute pour plusieurs raisons complémentaires.
Parce que les aventures/expériences/combats menés depuis quarante ans ont démontré leur pertinence…
Du point de vue de la culture... parce que les politiques culturelles de l’offre ont atteint en partie leur limite et appellent une action nouvelle de formation des publics dès le plus jeune âge. C’est un élément important de légitimité même des politiques publiques de la culture.
Du point de vue de l’Education nationale... parce qu’un rééquilibrage entre la raison et l’émotion, entre les apprentissages disciplinaires et la créativité des enfants, s’avère un élément essentiel de l’adaptation du système scolaire au monde en mutation. C’est une condition, sans doute majeure, de la mise en place dune “éducation créative” indispensable aux sociétés modernes.
Du point de vue de l’éducation populaire... et du ministère qui lui est désormais dédié, c’est enfin un des domaines dans lesquels peut se rénover et se développer une action associative, permanente, tout au long de la vie.
On pourrait ajouter que le domaine de “l’éducation artistique et culturelle” s’avère être un champ d’activités d’apprentissages, de dialogues, de découvertes, d’innovations, de solidarités, d’individuation et de socialisation particulièrement utile dans une société toujours plus fragmentée, dans laquelle fait rage la grande “Bataille de l’imaginaire”.
2/ De quoi parle-t-on exactement ?
On assiste en permanence à des glissements sémantiques autour de cette question…Action culturelle… enseignements artistiques… éducation artistique… éducation culturelle…
Certains entendent aujourd’hui y ajouter une dimension scientifique, économique (le design), historique (histoire des arts), technologique, pourquoi pas religieuse (histoire des religions…) etc. Chaque période, chaque institution, y va de son appellation pour tenter de circonscrire un champ de travail et les conditions de son développement, au plus près de ses intérêts.
Un consensus est cependant aujourd’hui établi autour de l’EAC “Education artistique et culturelle” - ce sont les termes utilisés dans les décrets d’attribution des ministres de la Culture et de l’Education nationale - qu’il me semble utile de défendre avec précision.
La dimension artistique est là pour indiquer qu’il s’agit bien d’une “éducation à l’art et par l’art”, c’est-à-dire d’une expérience de formation des personnes par l’expérimentation personnelle des langages artistiques, de l’expérience esthétique, du détour symbolique. (De la même manière qu’une éducation physique et sportive passe, inévitablement, par un engagement du corps dans le mouvement et la pratique d’un ou de plusieurs sports… une éducation artistique impose une approche pratique de l’art.)
La dimension culturelle indique que cette éducation passe aussi, et autant, par le “rapport aux œuvres”, la découverte, la fréquentation, l’analyse, la découverte du contexte historique, philosophique, technique… Bref, tout le travail d’appropriation intellectuelle de l’expérience esthétique qui peut être menée de mille manières, selon les âges, les milieux.
Je plaide donc pour que soit maintenue cette appellation “éducation artistique et culturelle”, afin de ne pas noyer le poisson de l’art - plus précisément de la “création”, celle d’hier comme celle d’aujourd’hui, celle des artistes comme celle des élèves - dans le grand bain de “l’éducation culturelle”. (Imagine-t-on une éducation qui ne serait pas culturelle ?)
La question de la culture scientifique, également soulevée aujourd'hui, mérite à elle seule un débat aussi riche, sans pour autant être confondue avec la dimension artistique.
3/ Quels objectifs pour une politique nouvelle ?
Le terrain n’est pas vierge, loin s’en faut. D’innombrables dispositifs, expériences, aventures ont été et sont encore menées dans les établissements, les institutions, les territoires, les associations… Les enseignements artistiques obligatoires ou optionnels sont en place…
Comme les enseignements spécialisés… De très nombreux acteurs sont engagés dans ce domaine…
Tout cela reste cependant insuffisant, mal connu, ne concerne qu’une partie seulement des enfants (instaurant donc des inégalités), n’a qu’une place mineure (faute de légitimité institutionnelle suffisante, victime de la hiérarchisation “académique” des savoirs et des compétences) dans le système scolaire et plus largement dans les politiques de la culture.
L’objectif principal annoncé serait donc aujourd’hui la “généralisation”…
Ambition légitime et généreuse, mais de quoi exactement ? Généralisation des pratiques ? Généralisation des enfants concernés ? Avec quels moyens (humains, budgétaires, intellectuels…)? Avec quels partenaires ? Et selon quel calendrier ?
Le terme de “généralisation », aussi démocratique et généreux soit-il, me semble depuis longtemps un piège dont il sera difficile de se débarrasser, créant inévitablement à court ou moyen terme une frustration prévisible. Sauf à lui adjoindre toujours le terme de “progressive”, indiquant qu’il s’agit d’une démarche résolue de “développement” d’une politique, soucieuse autant de qualité que de quantité.
Au-delà de cette question de terminologie, il me semble que quatre objectifs simples devraient être envisagés.
1- Permettre à tous ceux qui mènent déjà des actions de qualité de les poursuivre, de les développer et d’en afficher la légitimité. Objectif de reconnaissance et de valorisation des bonnes pratiques existantes. (Identifications… labels... financements…) Il convient de remobiliser les acteurs déjà engagés, de les conforter.
Ce travail ne peut qu’être mené conjointement par les différents ministères concernés, les collectivités territoriales engagées et les associations et structures culturelles partenaires. Faut-il imaginer des “conférences” régionales de l’EAC ?
2- Mettre en place (par la loi ?) des “cadres de travail” (espaces/temps/ moyens…) principalement au sein de l’Education nationale, (mais aussi en dehors) dans lesquels pourront se déployer, de manière légitime, la diversité des actions existantes et les nouvelles…
(Une demi-journée consacrée à l’EAC dans le temps scolaire… un temps annualisé dédié... ... des semaines transplantées...1000€ par classe/année… un corps de médiateurs artistiques et culturels ? … de véritables projets d'établissements, de territoires... revoir la politique des “sites”, les “classes à projet artistique et culturelle”... ce sont quelques propositions exprimées récemment…)
3- Inscrire et développer une action résolue de transmission et de formation pour les générations nouvelles d’enseignants, d’intervenants, de responsables éducatifs et culturels… au sens-même de l’EAC et à la qualité de sa mise en œuvre.
Toute la génération qui a porté ce projet depuis les années 60/70 atteint désormais l’âge de la sagesse et de la retraite. Sans renouvellement permanent des forces compétentes dans ce domaine, il est à craindre un délitement inévitable des pratiques…
Il ne sert à rien de mettre en place des dispositifs, si l’on se désintéresse des dispositions des gens à s’en emparer. La formation, initiale mais surtout permanente, est une priorité absolue. (Formations initiales, certifications complémentaires, formations des intervenants, formations conjointes, universités d'été, ressources numériques, outils pédagogiques...)
4- Assurer une forme d’unité dans la diversité… Compte tenu de l’inévitable diversité des situations et des pratiques, de l’indispensable décentralisation de la gouvernance (et des financements), je suggère fortement la création d’un “pôle national de référence”, structure nationale d’observation, de ressources, d’évaluation, voire de formation des formateurs, type “Institut national de l’éducation artistique et culturelle”.
A l’image de ce que fut l’INJEP, Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, à Marly-le-Roi, de ce que fait par exemple l’Observatoire des politiques culturelles à Grenoble dans le domaine des politiques culturelles, un tel organisme permettrait de faire le lien entre de très nombreux acteurs, de capitaliser les expériences, de travailler à la prospective, à la dimension internationale, à la communication, etc…
Ce pôle pourrait être la tête de pont du réseau (à conforter) des “pôles régionaux” déjà existants...
On peut aussi s'interroger au passage sur le rôle du "Haut conseil" existant : le supprimer ? Le transformer ? Y nommer des gens plus représentatifs ? Lui donner mission de préfiguration de l'Institut national...?
4/ Pour conclure...
Le champ de travail est vaste et complexe. Les attentes sont nombreuses, diverses et plus fortes encore depuis les annonces du Président et des ministres.
Il importe d’y répondre en formulant clairement : le sens, les objectifs, le calendrier, les moyens…
Ces éléments peuvent à l’évidence se trouver dans un “plan” (quinquennal ?, décennal ?), qui exprimerait clairement la volonté politique, les moyens et le calendrier de sa mise en oeuvre, ainsi que l’organisation des partenariats avec les différents acteurs concernés (Etat, collectivités territoriales, associations, structures culturelles...)
Un tel projet devrait être porté par les ministères de la Culture et de l’Education nationale, mieux encore par le gouvernement dans son ensemble, par le président de la République lui-même, comme un des éléments majeurs du "redressement" de notre pays, visant à inscrire la jeunesse dans une perspective dynamique de création.
Ce plan devrait être lui-même créatif, dans sa formulation, dans sa gouvernance, dans ses propositions...
Il ne s’agit pas seulement d’aménager l’existant mais bien de refonder une “éducation créative” du XXIe siècle, adaptée aux mutations contemporaines considérables.
Merci de vos commentaires sur ces réflexions
Pour mémoire, sur le même thème, un précédent article proposé ici