Platon à la Défense

Publié le par JGC

Mon ami Serge me demande de vous faire connaitre le petit texte ci-dessous, extrait de Platon, Gorgias, trad. Victor Cousin.
Toute ressemblance avec des faits récents est évidemment volontaire.

SOCRATE.

Si nous nous excitions mutuellement, Calliclès, à nous charger de quelque entreprise publique, par exemple, de la construction des murs, des arsenaux, des temples, des édifices les plus considérables, ne serait-il point à propos de nous sonder nous-mêmes, et d'examiner en premier lieu si nous sommes habiles ou non dans l'architecture, et de qui nous avons appris cet art ? Cela serait-il nécessaire, ou non ?

CALLICLÈS.

Sans contredit.

SOCRATE.

La seconde chose qu'il faudrait examiner, n'est-ce pas si nous avons déjà bâti de nous-mêmes quelque maison pour nous ou pour nos amis, et si cette maison est bien ou mal construite ? Et cet examen fait, si nous trouvions que nous avons eu des maîtres habiles et célèbres, que sous leur direction nous avons bâti un grand nombre de beaux édifices, et beaucoup d'autres aussi de nous-mêmes, depuis que nous avons quitté nos maîtres; les choses étant ainsi, il n'y aurait que de la prudence à nous charger des ouvrages publics; si au contraire nous ne pouvions dire quels ont été nos maîtres, ni montrer aucun bâtiment de notre façon, ou si nous en montrions plusieurs, mais mal entendus, ce serait une folie de notre part d'entreprendre aucun ouvrage public, et de nous y encourager l'un l'autre. Avouerons-nous que cela soit bien dit ?

CALLICLÈS.

Assurément.

SOCRATE.

N'en est-il pas de même de toutes les autres choses ? par exemple, si nous avions dessein de servir le public en qualité de médecins, et que nous nous y exhortassions mutuellement, comme étant suffisamment versés dans cet art; ne nous examinerions-nous point de part et d'autre toi et moi ? Au nom du ciel, voyons d'abord, dirais-tu, comment Socrate lui-même se porte, et si quelque autre homme, libre ou esclave, a été guéri de quelque maladie par les soins de Socrate. Autant en voudrais-je savoir sans doute par rapport à toi. Et s'il se trouvait que nous n'avons rendu la santé à personne, ni étranger, ni concitoyen, ni homme, ni femme, par Jupiter, Calliclès, ne serait-ce pas réellement une chose ridicule que des hommes en vinssent à cet excès d'extravagance, de vouloir, comme on dit, commencer le métier de potier par la cruche d'argile, de se consacrer au service du public et d'exhorter les autres à en faire autant, avant d'avoir fait en particulier plusieurs coups d'essai passables, d'avoir réussi un certain nombre de fois, et d'avoir suffisamment exercé leur art ? Ne penses-tu pas qu'une pareille conduite serait insensée ?

CALLICLÈS.

Oui.

SOCRATE.

Maintenant donc, ô le meilleur des hommes, que tu commences depuis peu à te mêler des affaires publiques, que tu m'engages à t'imiter, et que tu me reproches de n'y prendre aucune part, ne nous examinerons-nous point l'un l'autre ? Voyons un peu : Calliclès a-t-il par le passé rendu quelque citoyen meilleur ? Est-il quelqu'un qui étant auparavant méchant, injuste, libertin, et insensé, soit devenu honnête homme par les soins de Calliclès, étranger ou citoyen, esclave ou libre ? Dis-moi, Calliclès, si on te questionnait là-dessus, que répondrais-tu ? Diras-tu que ton commerce a rendu quelqu'un meilleur ? As-tu honte de me déclarer si, n'étant que simple particulier, et avant de t'immiscer dans le gouvernement de l'état, tu as fait quelque chose de semblable ?

CALLICLÈS.

Tu es bien disputeur, Socrate.

SOCRATE.

Ce n'est point pour disputer que je t'interroge, mais dans le désir sincère d'apprendre comment, selon toi, on doit se conduire chez nous dans l'administration de la chose publique ; et si, en te mêlant des affaires de l'état, tu te proposeras un autre but que de faire de nous des citoyens accomplis. Ne sommes-nous pas convenus plusieurs fois, que tel doit être le but du politique ?

En sommes-nous tombés d'accord, ou non ? Réponds. Oui, nous en sommes tombés d'accord, puisqu'il faut que je réponde pour toi. Si donc tel est l'avantage que l'homme de bien doit tâcher de procurer à sa patrie, réfléchis un peu, et dis-moi s'il te semble encore que ces personnages dont tu parlais il y a quelque temps, Périclès, et Cimon, et Miltiade, et Thémistocle, ont été de bons citoyens ?


 

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