Le Festival d’Avignon : c’est fini ?
Cela avait été annoncé dès le mois d’avril par le ministre de la Culture, c'est fait : le Conseil d’administration du Festival d’Avignon vient de désigner officiellement Olivier Py comme prochain directeur, à partir de 2014. Il prendra ses fonctions en janvier 2013. Trois voix seulement se sont opposées à ce processus de nomination : le représentant de la Région et celui du Département, collectivités territoriales méprisées, et le metteur en scène Jean-Pierre Vincent.* Une abstention.
Nous avions écrit ici ce que nous pensions de cet événement dès l’éjection brutale et injuste du directeur de l’Odéon. Nous avions ensuite signé un texte collectif paru début juillet dans Libération, à l’ouverture du Festival. La décision prise récemment dans une relative discrétion, en tout cas sans provoquer de débat public significatif, marque à mes yeux une rupture sans précédent dans l’histoire de ce festival.
En vérité, on pourrait dire : Avignon, c’est fini ! Je m’explique.
Depuis sa création, le Festival d’Avignon est bien plus qu’un simple festival de théâtre : il est le cœur battant d’une aventure humaine, artistique, civique, symbolique, qui structure la vie culturelle française, et au-delà. Il est chargé d’une histoire considérable, d’un investissement humain sans pareil, à la fois des artistes, des responsables professionnels, des militants associatifs, des éducateurs, des publics, qui s’y retrouvent chaque année pour y célébrer l’idée même d’un certain théâtre public partagé. Au-delà des querelles - elles furent nombreuses au fil des décennies - sur les spectacles programmés, sur l'ampleur de la manifestation, sur les directeurs successifs, sur les orientations esthétiques… un certain consensus n’a cessé de se manifester autour du Festival, sans jamais provoquer de véritable rupture dans le continuum d’Avignon. Les conditions de la désignation d’Olivier Py tranchent radicalement avec cette histoire, pour la première fois dans la vie du Festival.
Le coup de force politique mis ouvertement en œuvre, plus de trois ans avant l’échéance, quelques mois avant une élection présidentielle majeure, pour imposer à la hussarde la nomination d’un directeur, sans débat, sans appel à projet, sans évaluation d’un travail en cours qui doit se dérouler encore pendant deux ans… est une démarche scandaleuse et profondément méprisante pour le Festival, pour son public, pour son histoire, pour ses actuels responsables et pour l’idée même que l’on se fait de la démocratie. En d’autres temps, j’en suis certain, la révolte aurait grondé : j’imagine Paul Puaux face à une telle situation ! Mais voilà, les temps ont changé : le pouvoir ose tout et la plupart des participants au CA ont acquiescé ou se sont couchés ! Ce faisant, la majorité des membres du Conseil d’administration ne se sont pas seulement déconsidérés, ils ont abaissé le Festival lui-même, dont ils ont la charge morale autant que financière. De plus, ils ont semble-t-il bafoué leurs propres statuts qui prévoient un appel à candidature pour le renouvellement de la direction. Et que dire du nouveau directeur qui, s’inscrivant dans ce qu'il faut bien appeler une manipulation politique grossière, aura à porter à jamais le fardeau des conditions de sa nomination. Jean-Pierre Vincent aurait déclaré : « c’est une casserole qu’Olivier Py traînera toute sa vie ». Je partage ce point de vue.
J’entend déjà les objections, qui ne manqueront pas : “cela a toujours été comme ça…” “les nominations sont toujours politiques…” etc. Quand bien même cela serait (en partie) exact, est-ce une raison pour amplifier cette pratique et la porter à un tel niveau d'arrogance ? N'y a-t-il pas eu un vrai débat en 2006 et plusieurs candidatures, dont celle de celui aujourd’hui arbitrairement désigné ? La "République irréprochable" s'accomode-t-elle d'un tel cynisme ? Ne peut-on vraiment imaginer une autre manière de faire ?
Bref, un futur directeur bardé de soupçons, un conseil d’administration aux ordres, une direction affaiblie pour les deux années à venir (à la manière de Raymond Domenech à la Coupe du monde de foot en Afrique du Sud, connaissant déjà le nom de son successeur !)... que reste-t-il du Festival d'Avignon ? Bien entendu, un festival continuera en Avignon, car une machine de cette ampleur, avec les enjeux économiques qu'elle porte désormais, ne s’arrêtera évidemment pas. On y verra peut-être même quelques bons spectacles.
Mais le Festival d'Avignon, lui, c'est fini ?
À moins que...
* J'avais écrit dans une première version de ce texte qu'il s'était abstenu : erreur, il s'est opposé à cette décision. Mea culpa !