Le but du voyage…
C'est un petit journal en ligne, exclusivement consacré au spectacle "jeunes publics". J'ai le plaisir d'y tenir une chronique régulière. Le dernier n° vient de sortir. Chronique intitulée : "Le but du voyage"
Le ministère de la culture et de la communication entend mener prochainement une politique prioritaire d’éducation artistique et culturelle, visant à la « généralisation de l’accès de tous les jeunes à l’art et à la culture ». Avouons-le, cette formulation, malgré son évidente générosité, depuis le temps qu’elle est utilisée, me fatigue. Comme si la culture constituait un élément extérieur, auquel il faudrait accéder. Comme s’il s’agissait d’une valise à remplir, d’une échelle à escalader, d’une montagne à gravir dont le sommet s’éloignerait sans cesse, au fur et à mesure de l’escalade… Comme s’il suffisait alors, pour vérifier l’efficacité d’une action ou la pertinence d’une politique culturelle, de comptabiliser le nombre d’enfants ayant passé la porte d’un musée, d’un spectacle, d’un cinéma, d’une bibliothèque. « Combien d’enfants touchés ? », demandent le sociologue, l’administration, l’adjoint au maire, sans se préoccuper de la nature véritable de ce contact. Or, combien d’enfants ont été écoeurés à jamais par des expériences artistiques mal vécues, mal préparées ou inadaptées, qui se trouvent pourtant comptabilisés dans des statistiques savantes de fréquentation ! Le nombre d’enfants concernés est un marqueur simpliste ; il nous faut rappeler que toutes les propositions d’éducation à l’art et par l’art, les programmations de spectacle en direction de l’enfance, ne visent pas un accès à la culture, mais espèrent surtout un accès… à soi-même et à l’humanité du monde. L’aventure esthétique, d’acteur ou de spectateur, est un voyage à la recherche de « l’invisible rendu visible » disait Peter Brook. Comme tout voyage, il est un déplacement (dé-placement), qui permet de découvrir (dé-couvrir) le monde symbolique de l’art, mais permet surtout à celui qui l’accomplit de se construire, de s’élever, et finalement de prendre la parole (individuellement et collectivement). La volonté honorable de généralisation d’une telle démarche a donc fort peu à voir avec la statistique, elle appelle la plus grande attention à la qualité de la relation comme à la qualification de ceux qui y travaillent. Car, comme l’affirmait mon ami Jacques Lecoq : « Le but du voyage… c’est le voyage lui-même ! »