La solution miracle ?
L’éducation artistique et culturelle
Pourquoi ? Comment ?
La chose est entendue ! La campagne pour l’élection présidentielle 2007 marquera l’histoire de l’éducation artistique et culturelle dans notre pays. De la gauche à la droite, voire à l’extrême droite, tous les programmes des candidats en matière de politique culturelle reprennent peu ou prou cette problématique. Ici, on envisage un regroupement plus ou moins complet entre les deux ministères concernés ; ailleurs, on suggère une demi-journée libérée pour les activités artistiques dans l’éducation. Partout, la perspective d’une généralisation de l’art à l’école est avancée. Pas une réflexion, un colloque, un séminaire, une émission de radio, un programme politique, qui ne fasse de ce thème une priorité nationale. Bravo !
Pour qui milite depuis plusieurs décennies sur ce sujet, c’est notre cas , cette situation est cependant paradoxale. D’un côté, on ne peut que se réjouir de voir enfin pris en compte dans le débat public un thème qui a fait l’objet de tant de combats, d’expériences, de réussites, partout en France, depuis une quarantaine d’années. Que des élus de tous bords conviennent enfin qu’il s’agit-là d’une urgente nécessité, que notre système scolaire est hémiplégique et retardataire par rapport à d’autres pays, que les politiques culturelles ne se développeront plus sans un effort considérable de formation des publics potentiels... tout cela est une satisfaction pour les militants que nous sommes. Ainsi n’aurons-nous pas travaillé, expérimenté, former, écrit et colloqué pour rien. Les mentalités évoluent. Tant mieux !
Mais dans le même temps, un vertige nous saisit. Que cache cette apparente unanimité ? Quels non-dits, malentendus ou contradictions ? Parle-t-on vraiment de la même chose ? Les politiques sont-ils (elles) vraiment convaincu(e)s ou sont-ils seulement sensibles à l’air du temps, aux revendications du moment ? Perçoivent-ils réellement les enjeux et les complexités qui se dissimulent derrière ces propositions ? N’est-il pas temps d’entrer dans le détail des choses et de nous interroger sur la réalité des politiques affirmées ? J’aime cette réflexion d’Umberto Ecco, expliquant le rôle des intellectuels en politique : « Les intellectuels doivent dire aux politiques ce qu’ils doivent faire. Mais quand les politiques font effectivement ce qu’ils ont dit, c’est souvent la catastrophe. Alors les intellectuels doivent revenir pour préciser que ce n’était pas exactement ce qu’ils avaient proposé... » Nous en sommes-là. Voici venu le temps de quelques précisions.
Hasard ou nécessité ?
Mais d’abord, pourquoi une telle unanimité dans la défense et la promotion de l’éducation artistique et culturelle ? Comment se fait-il que ce sujet, autrefois si peu mobilisateur et si peu médiatisé, se trouve porté à ce point sur la place publique ? Hasard ou nécessité ? Les raisons de cette émergence dessinent, consciemment ou non, les objectifs que l’on assigne à ces propositions. Quatre raisons principales me semblent devoir être évoquées.
La première nous sera la plus favorable : ils ont enfin compris ! Grâce à la mobilisation ardente et durable de plusieurs générations d’enseignants, d’artistes et de médiateurs, de responsables éducatifs et culturels, d’élus ; grâce à l’opiniâtreté des pionniers, défricheurs de pratiques nouvelles, militants associatifs et mouvements pédagogiques, ces idées ont fini par s’imposer dans les esprits. Rendons hommage à tous ceux qui, depuis le colloque d’Amiens en 1968 consacré à « L’école nouvelle » jusqu’aux plus récentes manifestations, colloques, séminaires et publications sur ce thème, en passant par les multiples plans nationaux, plans locaux et autres conventions interministérielles, ont su tracer sans relâche une route nouvelle dans la jungle des pratiques artistiques et pédagogiques dominantes. La vie culturelle et pédagogique est un combat. Il arrive que l’on gagne quelques batailles. Celle-ci semble pourrait en être une.
De plus, nombre de ceux qui se trouvent aujourd’hui au cœur de ce débat public, responsables institutionnels de toutes sortes, font partie d’une génération qui a souvent connu la réalité de ces aventures, dans une classe artistique, un atelier de pratique, un jumelage... Il ne s’agit pas pour eux de défendre une simple idée, fut-elle juste, ils défendent aussi une expérience partagée, ce qui est autrement mobilisateur. Enfin, que l’on apprécie ou non ce que fut le plan « Lang Tasca » de développement des arts à l’école, dans les années 200-2002, convenons que ce programme a mis en lumière l’importance d’une volonté politique dans ce domaine. La suppression brutale de ce projet et des moyens qui l’accompagnaient, par les ministres suivants, est apparue comme une faute à de très nombreux partenaires. « Une connerie » précisera même un député UMP peu suspect de complaisance avec le gouvernement de gauche de l’époque. Paradoxalement, ce recul institutionnel pourrait avoir favorisé la prise de conscience collective, faisant apparaître l’absurdité de ce retour en arrière.
La seconde raison est liée à l’état des politiques culturelles dans notre pays et au « malaise de la culture » si souvent évoqué. Depuis le milieu des années 80, date des premières études sur les « pratiques culturelles des Français » réalisées par le Département des études et de la prospective du ministère de la culture qui démontraient que seule une part minoritaire de la population (environ 20%) fréquentait les institutions culturelles, jusqu’à la crise des intermittents du spectacle, déclenchée en 2003, les signes n’ont pas manqué d’un bouleversement important dans ce secteur. Stagnation des publics, difficultés d’élargissement social, explosion de l’offre artistique, diversité des formes, métissages des arts, nouvelles technologies, multiplication des festivals, développement du numérique... mais aussi décentralisation, prise en charge croissante des questions culturelles par les collectivités territoriales, nécessité d’évaluation toujours repoussées, incertitudes sur le rôle de l’Etat... Le champ culturel, ses élus et ses professionnels s’interrogent : comment sortir de cette période critique autrement que par un libéralisme exacerbé qui confierait au seul marché le soin de réguler ces évolutions ? La réponse la plus simple à cette interrogation est, presque toujours, celle de l’éducation artistique et culturelle. Il faut former, sensibiliser les publics, dès leur plus jeune âge. C’est à l’école qu’il faut confier cette mission. De la maternelle à l’université, si l’éducation artistique et culturelle était vraiment généralisée, ce seraient des milliers d’enfants, puis d’adolescents et d’adultes, qui se sentiraient concernés par les innombrables propositions artistiques mises en place sur les territoires. Musées, concerts, spectacles vivants, bibliothèques, cinémas, cirques... seraient assaillis par des hordes de jeunes affamés d’art et de culture, généreusement accompagnés par des enseignants enthousiastes, compétents et pertinents, à la fois passeurs et médiateurs, eux-mêmes parfaitement formés à cette fonction nouvelle. Je force à peine le trait sur le rêve partagé. La réalité risque d’être plus complexe.
La troisième raison est éducative. Ce n’est plus pour justifier une politique culturelle mais pour faire évoluer, profondément, le système éducatif lui-même, que l’éducation artistique et culturelle est aujourd’hui invoquée. C’est que l’école, convenons-en, ne laisse pas d’inquiéter et d’interroger tous ceux qui l’observent avec objectivité. Loin de moi l’idée qu’il s’agirait d’une « fabrique de crétins » ou que Mai 68 et son supposé « laxisme » serait la cause de toutes les dérives et les difficultés d’un système éducatif en faillite. Ces accusations caricaturales sont entachées de relents idéologiques réactionnaires que je ne partage pas. Pour autant, il est évident que le système scolaire français peine à s’adapter aux évolutions du monde, aux nouvelles technologies, aux diversités culturelles des populations, à l’influence croissante de la télévision sur les imaginaires, à la massification, à la paupérisation de certaines catégories sociales, au marché roi et aux luttes d’influences religieuses... Dans ce contexte mouvementé, la place de l’art et de la culture, les pratiques artistiques individuelles et collectives, peuvent apparaître comme des éléments structurants permettant à nos enfants de vivre et de découvrir ensemble d’autres formes d’expression que celles auxquelles ils sont souvent réduits. La pédagogie de projet, l’ouverture sur le monde de la création contemporaine, la rencontre des artistes, les partenariats divers avec des institutions et des structures artistiques et culturelles... sont autant d’occasions offertes pour une réappropriation de l’école elle-même par les enfants et les enseignants. Que la dimension artistique et culturelle ait été intégrée (après une âpre bataille) dans le « socle commun des connaissances » adopté par le ministère de l’éducation nationale, est un signe positif de cette évolution. On notera que la préoccupation de l’éducation artistique et culturelle est aujourd’hui internationale. L’UNESCO s’en est emparée lors d’une récente rencontre à Lisbonne, un symposium international s’est tenu à Paris sur les questions d’évaluation, l’Observatoire des politiques culturelles à rendu compte de certaines expériences internationales dans un récent numéro de sa revue. La liste n’est pas exhaustive.
Ajoutons, enfin, une quatrième raison de nature plus sociale. Les émeutes de décembre 2005 dans les banlieues de nos villes ont montré combien les questions du lien social et de l’intégration se trouvaient, chez nous, particulièrement vives. Une part importante de la jeunesse se trouve (se situe) en marge d’une vie sociale « normale », aux prises avec les difficultés cumulées, de l’urbanisme, de la précarité, de la langue, de l’échec scolaire, du consumérisme exacerbé, du chômage, de la violence... La voiture qui brûle remplace le poème ! La course-poursuite avec les CRS tient lieu de jeu de piste ! La délinquance rajeunit chaque jour. Hier, c’est un enfant de onze ans qui se faisait arrêté au volant d’une voiture « empruntée » ! Face a cette situation explosive, la tentation est grande de rechercher tous les moyens d’un retour au calme, à la concorde, au dialogue, à la civilité (j’allais dire civilitude !) Les sports et les arts sont alors convoqués pour la paix sociale. Qu’ils courent, qu’ils sautent, qu’ils se dépensent physiquement, qu’ils tapent dans un ballon ou qu’ils dansent, qu’ils « rapp », qu’ils « slam », qu’ils s’essayent à Marivaux, Molière ou à quelques improvisations théâtrales personnelles et ce sera toujours ça de pris. Pendant ce temps-là, les voitures ne brûleront pas ! L’éducation artistique et culturelle, à l’école mais également dans les quartiers, les associations, les centres de vacances, est un aussi un outil majeur d’expression de la jeunesse et d’intégration sociale. Du moins l’espère-t-on.
Chacune de ces explications est, en partie, parfaitement fondée. L’éducation aux arts et à la culture (par les arts et la culture) peut effectivement répondre à la fois aux enjeux culturels, éducatifs et sociaux qui lui sont assignés. Elle peut contribuer à la formation des publics et à leur élargissement, au développement des individus et à leur émancipation individuelle comme à l’apaisement de comportements violents ou incivils de certains. Nombre d’expériences menées ces dernières décennies ont démontré leur efficacité dans ces différents domaines. Et pourtant... A vouloir instrumentaliser cette question, à trop attendre de ce travail, la déception sera inévitable. Croire que l’éducation artistique et culturelle serait une solution miracle aux maux qui nous assaillent ne peut être qu’un leurre. Au mieux, et c’est déjà beaucoup, elle peut constituer une nouvelle utopie collective qui remplacerait la « démocratisation culturelle » du siècle dernier. Tout dépend, en vérité, de la nature des projets mis en œuvre, des conditions de leur réalisation, de la pérennité des actions et de l’appropriation effective par les enfants et les jeunes concernés. Tout est dans la manière. Dans le sens. Sans garantie pour autant !
J'essaierai de préciser, dans des interventions prochaines, les enjeux réels et les conditions indispensables, à mes yeux, pour la cohérence et lé réussite de ce travaiL
Merci de vos commentaires éventuels.
Pourquoi ? Comment ?
La chose est entendue ! La campagne pour l’élection présidentielle 2007 marquera l’histoire de l’éducation artistique et culturelle dans notre pays. De la gauche à la droite, voire à l’extrême droite, tous les programmes des candidats en matière de politique culturelle reprennent peu ou prou cette problématique. Ici, on envisage un regroupement plus ou moins complet entre les deux ministères concernés ; ailleurs, on suggère une demi-journée libérée pour les activités artistiques dans l’éducation. Partout, la perspective d’une généralisation de l’art à l’école est avancée. Pas une réflexion, un colloque, un séminaire, une émission de radio, un programme politique, qui ne fasse de ce thème une priorité nationale. Bravo !
Pour qui milite depuis plusieurs décennies sur ce sujet, c’est notre cas , cette situation est cependant paradoxale. D’un côté, on ne peut que se réjouir de voir enfin pris en compte dans le débat public un thème qui a fait l’objet de tant de combats, d’expériences, de réussites, partout en France, depuis une quarantaine d’années. Que des élus de tous bords conviennent enfin qu’il s’agit-là d’une urgente nécessité, que notre système scolaire est hémiplégique et retardataire par rapport à d’autres pays, que les politiques culturelles ne se développeront plus sans un effort considérable de formation des publics potentiels... tout cela est une satisfaction pour les militants que nous sommes. Ainsi n’aurons-nous pas travaillé, expérimenté, former, écrit et colloqué pour rien. Les mentalités évoluent. Tant mieux !
Mais dans le même temps, un vertige nous saisit. Que cache cette apparente unanimité ? Quels non-dits, malentendus ou contradictions ? Parle-t-on vraiment de la même chose ? Les politiques sont-ils (elles) vraiment convaincu(e)s ou sont-ils seulement sensibles à l’air du temps, aux revendications du moment ? Perçoivent-ils réellement les enjeux et les complexités qui se dissimulent derrière ces propositions ? N’est-il pas temps d’entrer dans le détail des choses et de nous interroger sur la réalité des politiques affirmées ? J’aime cette réflexion d’Umberto Ecco, expliquant le rôle des intellectuels en politique : « Les intellectuels doivent dire aux politiques ce qu’ils doivent faire. Mais quand les politiques font effectivement ce qu’ils ont dit, c’est souvent la catastrophe. Alors les intellectuels doivent revenir pour préciser que ce n’était pas exactement ce qu’ils avaient proposé... » Nous en sommes-là. Voici venu le temps de quelques précisions.
Hasard ou nécessité ?
Mais d’abord, pourquoi une telle unanimité dans la défense et la promotion de l’éducation artistique et culturelle ? Comment se fait-il que ce sujet, autrefois si peu mobilisateur et si peu médiatisé, se trouve porté à ce point sur la place publique ? Hasard ou nécessité ? Les raisons de cette émergence dessinent, consciemment ou non, les objectifs que l’on assigne à ces propositions. Quatre raisons principales me semblent devoir être évoquées.
La première nous sera la plus favorable : ils ont enfin compris ! Grâce à la mobilisation ardente et durable de plusieurs générations d’enseignants, d’artistes et de médiateurs, de responsables éducatifs et culturels, d’élus ; grâce à l’opiniâtreté des pionniers, défricheurs de pratiques nouvelles, militants associatifs et mouvements pédagogiques, ces idées ont fini par s’imposer dans les esprits. Rendons hommage à tous ceux qui, depuis le colloque d’Amiens en 1968 consacré à « L’école nouvelle » jusqu’aux plus récentes manifestations, colloques, séminaires et publications sur ce thème, en passant par les multiples plans nationaux, plans locaux et autres conventions interministérielles, ont su tracer sans relâche une route nouvelle dans la jungle des pratiques artistiques et pédagogiques dominantes. La vie culturelle et pédagogique est un combat. Il arrive que l’on gagne quelques batailles. Celle-ci semble pourrait en être une.
De plus, nombre de ceux qui se trouvent aujourd’hui au cœur de ce débat public, responsables institutionnels de toutes sortes, font partie d’une génération qui a souvent connu la réalité de ces aventures, dans une classe artistique, un atelier de pratique, un jumelage... Il ne s’agit pas pour eux de défendre une simple idée, fut-elle juste, ils défendent aussi une expérience partagée, ce qui est autrement mobilisateur. Enfin, que l’on apprécie ou non ce que fut le plan « Lang Tasca » de développement des arts à l’école, dans les années 200-2002, convenons que ce programme a mis en lumière l’importance d’une volonté politique dans ce domaine. La suppression brutale de ce projet et des moyens qui l’accompagnaient, par les ministres suivants, est apparue comme une faute à de très nombreux partenaires. « Une connerie » précisera même un député UMP peu suspect de complaisance avec le gouvernement de gauche de l’époque. Paradoxalement, ce recul institutionnel pourrait avoir favorisé la prise de conscience collective, faisant apparaître l’absurdité de ce retour en arrière.
La seconde raison est liée à l’état des politiques culturelles dans notre pays et au « malaise de la culture » si souvent évoqué. Depuis le milieu des années 80, date des premières études sur les « pratiques culturelles des Français » réalisées par le Département des études et de la prospective du ministère de la culture qui démontraient que seule une part minoritaire de la population (environ 20%) fréquentait les institutions culturelles, jusqu’à la crise des intermittents du spectacle, déclenchée en 2003, les signes n’ont pas manqué d’un bouleversement important dans ce secteur. Stagnation des publics, difficultés d’élargissement social, explosion de l’offre artistique, diversité des formes, métissages des arts, nouvelles technologies, multiplication des festivals, développement du numérique... mais aussi décentralisation, prise en charge croissante des questions culturelles par les collectivités territoriales, nécessité d’évaluation toujours repoussées, incertitudes sur le rôle de l’Etat... Le champ culturel, ses élus et ses professionnels s’interrogent : comment sortir de cette période critique autrement que par un libéralisme exacerbé qui confierait au seul marché le soin de réguler ces évolutions ? La réponse la plus simple à cette interrogation est, presque toujours, celle de l’éducation artistique et culturelle. Il faut former, sensibiliser les publics, dès leur plus jeune âge. C’est à l’école qu’il faut confier cette mission. De la maternelle à l’université, si l’éducation artistique et culturelle était vraiment généralisée, ce seraient des milliers d’enfants, puis d’adolescents et d’adultes, qui se sentiraient concernés par les innombrables propositions artistiques mises en place sur les territoires. Musées, concerts, spectacles vivants, bibliothèques, cinémas, cirques... seraient assaillis par des hordes de jeunes affamés d’art et de culture, généreusement accompagnés par des enseignants enthousiastes, compétents et pertinents, à la fois passeurs et médiateurs, eux-mêmes parfaitement formés à cette fonction nouvelle. Je force à peine le trait sur le rêve partagé. La réalité risque d’être plus complexe.
La troisième raison est éducative. Ce n’est plus pour justifier une politique culturelle mais pour faire évoluer, profondément, le système éducatif lui-même, que l’éducation artistique et culturelle est aujourd’hui invoquée. C’est que l’école, convenons-en, ne laisse pas d’inquiéter et d’interroger tous ceux qui l’observent avec objectivité. Loin de moi l’idée qu’il s’agirait d’une « fabrique de crétins » ou que Mai 68 et son supposé « laxisme » serait la cause de toutes les dérives et les difficultés d’un système éducatif en faillite. Ces accusations caricaturales sont entachées de relents idéologiques réactionnaires que je ne partage pas. Pour autant, il est évident que le système scolaire français peine à s’adapter aux évolutions du monde, aux nouvelles technologies, aux diversités culturelles des populations, à l’influence croissante de la télévision sur les imaginaires, à la massification, à la paupérisation de certaines catégories sociales, au marché roi et aux luttes d’influences religieuses... Dans ce contexte mouvementé, la place de l’art et de la culture, les pratiques artistiques individuelles et collectives, peuvent apparaître comme des éléments structurants permettant à nos enfants de vivre et de découvrir ensemble d’autres formes d’expression que celles auxquelles ils sont souvent réduits. La pédagogie de projet, l’ouverture sur le monde de la création contemporaine, la rencontre des artistes, les partenariats divers avec des institutions et des structures artistiques et culturelles... sont autant d’occasions offertes pour une réappropriation de l’école elle-même par les enfants et les enseignants. Que la dimension artistique et culturelle ait été intégrée (après une âpre bataille) dans le « socle commun des connaissances » adopté par le ministère de l’éducation nationale, est un signe positif de cette évolution. On notera que la préoccupation de l’éducation artistique et culturelle est aujourd’hui internationale. L’UNESCO s’en est emparée lors d’une récente rencontre à Lisbonne, un symposium international s’est tenu à Paris sur les questions d’évaluation, l’Observatoire des politiques culturelles à rendu compte de certaines expériences internationales dans un récent numéro de sa revue. La liste n’est pas exhaustive.
Ajoutons, enfin, une quatrième raison de nature plus sociale. Les émeutes de décembre 2005 dans les banlieues de nos villes ont montré combien les questions du lien social et de l’intégration se trouvaient, chez nous, particulièrement vives. Une part importante de la jeunesse se trouve (se situe) en marge d’une vie sociale « normale », aux prises avec les difficultés cumulées, de l’urbanisme, de la précarité, de la langue, de l’échec scolaire, du consumérisme exacerbé, du chômage, de la violence... La voiture qui brûle remplace le poème ! La course-poursuite avec les CRS tient lieu de jeu de piste ! La délinquance rajeunit chaque jour. Hier, c’est un enfant de onze ans qui se faisait arrêté au volant d’une voiture « empruntée » ! Face a cette situation explosive, la tentation est grande de rechercher tous les moyens d’un retour au calme, à la concorde, au dialogue, à la civilité (j’allais dire civilitude !) Les sports et les arts sont alors convoqués pour la paix sociale. Qu’ils courent, qu’ils sautent, qu’ils se dépensent physiquement, qu’ils tapent dans un ballon ou qu’ils dansent, qu’ils « rapp », qu’ils « slam », qu’ils s’essayent à Marivaux, Molière ou à quelques improvisations théâtrales personnelles et ce sera toujours ça de pris. Pendant ce temps-là, les voitures ne brûleront pas ! L’éducation artistique et culturelle, à l’école mais également dans les quartiers, les associations, les centres de vacances, est un aussi un outil majeur d’expression de la jeunesse et d’intégration sociale. Du moins l’espère-t-on.
Chacune de ces explications est, en partie, parfaitement fondée. L’éducation aux arts et à la culture (par les arts et la culture) peut effectivement répondre à la fois aux enjeux culturels, éducatifs et sociaux qui lui sont assignés. Elle peut contribuer à la formation des publics et à leur élargissement, au développement des individus et à leur émancipation individuelle comme à l’apaisement de comportements violents ou incivils de certains. Nombre d’expériences menées ces dernières décennies ont démontré leur efficacité dans ces différents domaines. Et pourtant... A vouloir instrumentaliser cette question, à trop attendre de ce travail, la déception sera inévitable. Croire que l’éducation artistique et culturelle serait une solution miracle aux maux qui nous assaillent ne peut être qu’un leurre. Au mieux, et c’est déjà beaucoup, elle peut constituer une nouvelle utopie collective qui remplacerait la « démocratisation culturelle » du siècle dernier. Tout dépend, en vérité, de la nature des projets mis en œuvre, des conditions de leur réalisation, de la pérennité des actions et de l’appropriation effective par les enfants et les jeunes concernés. Tout est dans la manière. Dans le sens. Sans garantie pour autant !
J'essaierai de préciser, dans des interventions prochaines, les enjeux réels et les conditions indispensables, à mes yeux, pour la cohérence et lé réussite de ce travaiL
Merci de vos commentaires éventuels.