A QUOI SERT LEDUCATION ARTISTIQUE et culturelle?
A l’initiative des ministères de la culture et de l’éducation nationale se tenait au Centre Pompidou, du 10 au 12 janvier, un symposium européen et international sur le thème : «Evaluer les effets de l'éducation artistique et culturelle».
Plusieurs centaines de participants, chercheurs et acteurs de l’éducation artistique et culturelle, venus de 13 pays, étaient rassemblés à cette occasion.
Les traces ne manqueront pas pour ceux qui veulent en savoir plus…
Quelques impressions à chaud, non exhaustives.
1/ Une telle manifestation est un signe.
Signe de l’avancée progressive de la prise de conscience que ce domaine mérite d’être développé. Signe que la question de l’évaluation (que l’on ne cesse de confondre avec la justification) est importante à la fois pour le domaine lui-même, et pour ceux qui en attendent toujours des preuves d’efficacité et d’efficience.
Signe aussi que le combat est (et restera) difficile pour faire admettre que la dimension sensible de l’éducation à l’art (et par l’art) devrait être un élément essentiel de notre système éducatif.
2/ Intrinsèque et/ou extrinsèque ?
Ce fut l’un des grands slogans de ces trois jours : l’éducation artistique et culturelle se suffit-elle à elle-même et/ou faut-il chercher sa justification dans d’autres effets sur les apprentissages, la vie en société, le civisme, etc ? Vieux débat qui appelle le recours urgent à la dialectique. Réponse : les deux mon capitaine ! Justifier l’éducation artistique et culturelle par ses seuls effets supposés sur l’apprentissage des mathématiques ou de l’histoire est aussi absurde que de ne pas observer l’évidente influence de ces pratiques (lorsqu’elles sont menées avec qualité !) sur le développement personnel et la relation générale au monde, donc aussi aux apprentissages…
3/ De quoi parle-t-on ?
Si j’en crois la diversité des situations exposées, les mêmes termes d’art et de culture recouvrent une diversité considérable de pratiques et de conceptions. Je retiens cependant la convergence de plusieurs intervenants (américains, espagnol…) sur le principe de la trilogie : « percevoir, produire, réfléchir », ce que j’appelle « marcher sur les trois pieds ».
Mais de quel «art» parle-t-on ? De quelle «culture» ? Et de quelle «éducation» ? Ce débat reste à préciser, sans cesse…
4/ Un espace intermédiaire
J’ai été frappé par la réflexion sur l’Education artistique et culturelle comme «espace intermédiaire» entre le monde artistique et le monde éducatif. C’est en effet la seule manière, me semble-t-il, de comprendre ce que nous essayons de promouvoir, les uns et les autres, depuis tant d’années. Ni une discipline scolaire de plus, ni un travail de création véritable… Ni un enseignement, ni une production… mais un entre deux original et spécifique, qui seul permet à chacun de changer de posture (de rôle, de masque) pour se découvrir (au deux sens du terme).
On pense ici au travail de Winnicott sur le jeu (in Jeu et réalité / NRF ) et son concept d’«espace transitionnel» essentiel au développement de l’individu. L’éducation artistique et culturelle, en ce qu’elle implique de croisements entre art et éducation, enseignant et artiste, institution scolaire et structure culturelle, projet et programme, jeu et travail, sensibilité et raison… est fondamentalement un «espace intermédiaire», qui lui donne force et originalité.
5/ Qu’est-ce que la qualité ?
Autre débat essentiel, mais peu abordé : qu’est-ce que la qualité ? En art ? En éducation ? Donc en éducation artistique et culturelle ? S’agit-il de la qualité des œuvres (rencontrées ou produites) ? Qui en décide ? Sur quels critères ? Et/ou de la qualité des démarches éducatives, des processus de travail ? On pense ici à la question essentielle du « jugement » en art (Kant) et la fonction critique, si difficile à définir et à exercer.
6/ Le jugement et l’évaluation
En conséquence, la distinction entre art et culture devient plus nécessaire encore, s’agissant de l’évaluation. On pourrait avancer qu’au « jugement » en art, répond « l’évaluation » en matière culturelle. Qui peut prétendre évaluer Picasso, Mozart ou Kantor ? Qui peut juger d’une démarche éducative sans l’avoir vécue ?
7/ Et la politique dans tout ça ?
Il est intéressant d’observer comment les politiques, en France du moins, s’emparent progressivement de cette thématique, de manière parfois schizophrénique.
D’un côté, la langue de bois absolue, le discours sur la « relance » en même temps que le désintérêt et le désengagement manifeste… De l’autre, des signes divers de la prise en compte de la problématique : le décret sur le «socle commun des connaissances » a finalement retenu plusieurs réflexions sur ce thème ; un prochain séminaire interne aux deux ministères se chargera de mobiliser les cadres. La plupart des candidats évoquent, avec plus ou moins de précision, cette question… La vigilance s’impose, le pire n’est pas certain !
8/ Science et communication
Deux mots enfin sur le symposium lui-même : à la fois moment de recherche scientifique internationale et grand coup médiatique sur le sujet qui nous occupe. La encore, c’est « l’espace intermédiaire » qui est à la fois est frustrant et, dans le même temps, fait la force de l’entreprise.
Et le combat continue !