Culture et politique, je taime, moi non plus !
Retour de colloque
Hier, vendredi 1er décembre, Cinémathèque de Paris. Arte et France Culture tenaient colloque sur le thème « La culture est-elle encore un enjeu politique ? » On aurait pu dire : « La culture est-elle encore un enjeu POUR LES politiques ? » La vraie question était en effet, « Pourquoi les politiques ont-ils déserté la question culturelle ? » ou encore « Pourquoi ce silence assourdissant des politiques sur la question culturelle dans cette première phase de la campagne présidentielle, après le même silence dans les campagnes précédentes ? » Bref, le sentiment d’un désamour manifeste entre les « culturels » et les «politiques »…
J’ai entendu, notamment…
Gérard Mortier (Directeur belge de l’Opéra de Paris), faire d’emblée la distinction entre art et culture, insister sur la dimension éminemment politique de l’art (« l’art pour l’art, c’est une position politique ! ») et plaider pour « une évolution (une transformation ?) radicale des institutions culturelles »
Catherine Clément définir la « culture » comme «jouissance, enchantement et contestation»
Patrick Bouchain (architecte) affirmer que l’architecture a perdu «le sens de l’œuvre» et que les architectes feraient mieux de réaliser « une architecture d’interprétation » (de la commande qui leur est faite) qu’une « architecture de programme » (qui leur est imposé).
Bernard Stiegler (philosophe) indiquer que «l’uniformité technologique pose la question de l’identité humaine»,
que « la culture industrielle, aujourd’hui bouleversée par le numérique, manipule et exacerbe les pulsions les plus basses »
Ou encore : « la question politique essentielle, c’est la culture… qui permet à l’homme de passer du stade de la subsistance à celui de la consistance, c’est-à-dire du sens».
Et d’ajouter : « le beau n’existe pas, seul le jugement existe»
Bruno Patino (directeur de Télérama) dire combien l’apparition du numérique transforme les rapports aux biens culturels devenus désormais « fichiers » échangeables, stockables, démontables, transformables…
Mais surtout, combien « l’hyper-choix » désormais offert à chacun favorise, en vérité, la concentration sur quelques objets. C’est le syndrome de la confiture ! Une étude a été réalisée qui démontre que lorsqu’il existe trois marques, elles se partagent le marché à environ 1/3 chacune. Lorsqu’il y en a des dizaines, une marque emporte 80% du marché et les autres se partagent le reste ! On comprend mieux pourquoi, depuis l’explosion du nombre de chaînes de télévision, le grand vainqueur est… TF1 !
Françoise Benmou (économiste) rappeler que les termes de « politique culturelle», «exception culturelle » «diversité culturelle » étaient aujourd’hui, pour le moins, brouillés et qu’il conviendrait de «revivifier les missions de service public»
Mais aussi Daniel Barenboïm et Antonio Tabucchi dire les relations étroites entre culture et politique en Israel et en Italie…
Et je me suis dit…
1/ Que ce colloque était vraiment bienvenu dans la période… Il y en aura d’autres.
2/ Que la notion même de « culture » appelle une clarification collective essentielle.
AU fond, il faut en finir avec la conception « bancaire » de la culture (comme disait Paolo Freire de la pédagogie, dans son ouvrage « La pédagogie des opprimés »), qui consiste à n’y voir qu’un vaste marché de la production (création) et de la diffusion (vente) de biens culturels, aussi géniaux soient-ils. Ce marché (fut-il de « service public ») devant être « accessible au plus grand nombre », ce qui justifierait toutes les actions et les politiques culturelles mises en œuvre… Ce mode de raisonnement, qui fut utile, mène inévitablement à l’impasse.
3/ La culture n’est pas une valise à remplir, pas plus qu’une échelle à escalader.
La culture est effectivement, à mes yeux, une « capacité de jugement» (cf. Bernard Stiegler) en même temps qu’une « jouissance, un enchantement et une contestation» (cf. Catherine Clément)
C'est une attitude, une aptitude, qui n'est pas innée mais qui s'acquiert.
4/ Qu’une nouvelle politique de la culture ne peut-être qu’une « politique de la jouissance et de la capacité de jugement », c’est-à-dire une politique de l’éducation artistique et culturelle, pour laquelle nous nous battons depuis tant d’années, alliant à la fois une pratique personnelle d’un art, la fréquentation des œuvres et la réflexion, l’appropriation de cette double expérience esthétique.
5/ Que le débat public sur la culture et ses enjeux, par ceux qui travaillent dans ces domaines, est vraiment la seule chance de faire évoluer les politiques.
6/ Que la journée prévue au TEP le 11 décembre prochain par les Editions de l’attribut sera donc importante.
Si vous n’y êtes pas encore inscrit(e), dépéchez-vous. Le nombre de place est limité. C’est ici.
7/ Enfin, que ce blog peut servir à poursuivre ce débat. A vos commentaires.
PS : jallais oublier Marc Fumaroli (Académicien), toujours aussi réactionnaire, affirmant que la seule culture qui vaille était la culture classique, préalable à toute autre... Grande question philosophico-pédagogique : le savoir est-il toujours un préalable à la jouissance ?
Je préfère cette phrase de Jankélévitch : "on n'apprend pas à commencer, on commence !"
Hier, vendredi 1er décembre, Cinémathèque de Paris. Arte et France Culture tenaient colloque sur le thème « La culture est-elle encore un enjeu politique ? » On aurait pu dire : « La culture est-elle encore un enjeu POUR LES politiques ? » La vraie question était en effet, « Pourquoi les politiques ont-ils déserté la question culturelle ? » ou encore « Pourquoi ce silence assourdissant des politiques sur la question culturelle dans cette première phase de la campagne présidentielle, après le même silence dans les campagnes précédentes ? » Bref, le sentiment d’un désamour manifeste entre les « culturels » et les «politiques »…
J’ai entendu, notamment…
Gérard Mortier (Directeur belge de l’Opéra de Paris), faire d’emblée la distinction entre art et culture, insister sur la dimension éminemment politique de l’art (« l’art pour l’art, c’est une position politique ! ») et plaider pour « une évolution (une transformation ?) radicale des institutions culturelles »
Catherine Clément définir la « culture » comme «jouissance, enchantement et contestation»
Patrick Bouchain (architecte) affirmer que l’architecture a perdu «le sens de l’œuvre» et que les architectes feraient mieux de réaliser « une architecture d’interprétation » (de la commande qui leur est faite) qu’une « architecture de programme » (qui leur est imposé).
Bernard Stiegler (philosophe) indiquer que «l’uniformité technologique pose la question de l’identité humaine»,
que « la culture industrielle, aujourd’hui bouleversée par le numérique, manipule et exacerbe les pulsions les plus basses »
Ou encore : « la question politique essentielle, c’est la culture… qui permet à l’homme de passer du stade de la subsistance à celui de la consistance, c’est-à-dire du sens».
Et d’ajouter : « le beau n’existe pas, seul le jugement existe»
Bruno Patino (directeur de Télérama) dire combien l’apparition du numérique transforme les rapports aux biens culturels devenus désormais « fichiers » échangeables, stockables, démontables, transformables…
Mais surtout, combien « l’hyper-choix » désormais offert à chacun favorise, en vérité, la concentration sur quelques objets. C’est le syndrome de la confiture ! Une étude a été réalisée qui démontre que lorsqu’il existe trois marques, elles se partagent le marché à environ 1/3 chacune. Lorsqu’il y en a des dizaines, une marque emporte 80% du marché et les autres se partagent le reste ! On comprend mieux pourquoi, depuis l’explosion du nombre de chaînes de télévision, le grand vainqueur est… TF1 !
Françoise Benmou (économiste) rappeler que les termes de « politique culturelle», «exception culturelle » «diversité culturelle » étaient aujourd’hui, pour le moins, brouillés et qu’il conviendrait de «revivifier les missions de service public»
Mais aussi Daniel Barenboïm et Antonio Tabucchi dire les relations étroites entre culture et politique en Israel et en Italie…
Et je me suis dit…
1/ Que ce colloque était vraiment bienvenu dans la période… Il y en aura d’autres.
2/ Que la notion même de « culture » appelle une clarification collective essentielle.
AU fond, il faut en finir avec la conception « bancaire » de la culture (comme disait Paolo Freire de la pédagogie, dans son ouvrage « La pédagogie des opprimés »), qui consiste à n’y voir qu’un vaste marché de la production (création) et de la diffusion (vente) de biens culturels, aussi géniaux soient-ils. Ce marché (fut-il de « service public ») devant être « accessible au plus grand nombre », ce qui justifierait toutes les actions et les politiques culturelles mises en œuvre… Ce mode de raisonnement, qui fut utile, mène inévitablement à l’impasse.
3/ La culture n’est pas une valise à remplir, pas plus qu’une échelle à escalader.
La culture est effectivement, à mes yeux, une « capacité de jugement» (cf. Bernard Stiegler) en même temps qu’une « jouissance, un enchantement et une contestation» (cf. Catherine Clément)
C'est une attitude, une aptitude, qui n'est pas innée mais qui s'acquiert.
4/ Qu’une nouvelle politique de la culture ne peut-être qu’une « politique de la jouissance et de la capacité de jugement », c’est-à-dire une politique de l’éducation artistique et culturelle, pour laquelle nous nous battons depuis tant d’années, alliant à la fois une pratique personnelle d’un art, la fréquentation des œuvres et la réflexion, l’appropriation de cette double expérience esthétique.
5/ Que le débat public sur la culture et ses enjeux, par ceux qui travaillent dans ces domaines, est vraiment la seule chance de faire évoluer les politiques.
6/ Que la journée prévue au TEP le 11 décembre prochain par les Editions de l’attribut sera donc importante.
Si vous n’y êtes pas encore inscrit(e), dépéchez-vous. Le nombre de place est limité. C’est ici.
7/ Enfin, que ce blog peut servir à poursuivre ce débat. A vos commentaires.
PS : jallais oublier Marc Fumaroli (Académicien), toujours aussi réactionnaire, affirmant que la seule culture qui vaille était la culture classique, préalable à toute autre... Grande question philosophico-pédagogique : le savoir est-il toujours un préalable à la jouissance ?
Je préfère cette phrase de Jankélévitch : "on n'apprend pas à commencer, on commence !"