Vive l’éducation nouvelle
Les militants pédagogiques, dans et hors l’école, sont aujourd’hui sur la défensive, attaqués de partout sous prétexte de « pédagogisme post soixante-huitard », de « libéralisme libertaire » par les réactionnaires restaurateurs de tout poil qui peuplent désormais nos institutions, nos médias… Comme le dit crânement notre Premier ministre, la grande victoire de la droite est avant tout une victoire idéologique : « nous avons gagné la bataille des idées contre le relativisme culturel de la gauche ! » Il importe donc, dans l’adversité, de réaffirmer quelques valeurs simples. Ce que fait PHILIPPE MEIRIEU dans un beau texte né d’une conférence faite récemment auprès des CEMEA (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active). Analyse et propositions. Extraits :
Lire l’ensemble du texte ou le télécharger ici.
« Contrairement à ce que pensent certains de nos amis, je ne suis pas de ceux qui pensent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, celui de l’Education nationale par exemple.
Je pense qu’en effet il y a une baisse du niveau et que, à force de nier l’évidence, on se discrédite et l’on se ridiculise. Cette baisse n’est pas globale, ni dans tous les domaines, mais elle existe dans des secteurs où elle a été mise particulièrement en évidence – l’orthographe, la grammaire – mais aussi pour ce qui est des repères historiques et culturels… Continuons à nier cette réalité et nous ne parviendrons pas à ce que les étudiants à l’université soient à même de manipuler correctement le français à l’écrit par exemple.
Je voudrais souligner aussi que « Oui ! » il y a des établissements difficiles où même les militants pédagogiques que nous sommes ne mettraient pas systématiquement leurs enfants. Certains établissements sont de « vrais barils de nitroglycérine », dont on ne sait pas s’ils pourront subsister longtemps et s’il ne faudra pas y faire entrer bientôt des mercenaires pour pouvoir y enseigner.
Je voudrais également dire que « oui ! », il y a eu des caricatures de l’Education nouvelle, caricatures qui nous ont particulièrement desservis. Il y a eu des amalgames entre certaines formes de « libertarisme » et l’Éducation nouvelle. Et je ne vise pas là particulièrement « Mai 68 » qui est un moment historique important d’une extraordinaire richesse et complexité que l’idéologie ambiante a tendance à confondre avec une simple convulsion de l’individualisme libertaire.
L’Éducation nouvelle, contrairement aux lieux communs qui traînent un peu partout, ne s’est jamais reconnue dans Libres enfants de Summerhill, même si certains de ses militants ont été fascinés par cette expérience. De même, l’Éducation nouvelle n’est pas réductible à la non-directivité, apparue bien plus tard et si mal comprise : là où il n’y avait à trouver, selon l’expression de Daniel Hameline qu’une « hygiène mentale » capable de nous dégager de nos velléités d’emprise, on a cherché indûment un système d’enseignement et une théorie de la culture.
De même, l’Éducation nouvelle n’a pas à endosser toutes les dérives d’une didactique technocratique et jargonneuse, qui n’a rien à voir avec ses principes, escamote la question du sujet comme celle de la relation pédagogique, oublie la dimension anthropologique et philosophique de la transmission. Il ne faut pas, par une sorte de solidarité inutile avec des « réformateurs didacticiens » - qui ne nous la rendront pas, d’ailleurs ! – défendre l’indéfendable ou s’excuser de ce que nous n’avons pas fait.
Tout cela, évidemment, n’est pas très « pédagogiquement correct ». Pour autant, je ne suis pas de ceux qui disent que le passé est merveilleux et qu’il faut revenir au temps où les enfants obéissaient « au doigt et à l’œil » (ou « à la loi et à l’œil », selon un célèbre lapsus). Mais je pense que, dans les dix dernières années, nous sommes restés sur une position beaucoup trop défensive. Face à des retours en arrière revendiqués ou à des positions ouvertement réactionnaires, nous avons été acculés à défendre le statu quo… qui nous apparaissait, quand même, moins mauvais que ce qu’on nous proposait. Et, au bout du compte, nous avons même, parfois, été amenés à défendre l’état actuel du système comme si nous en étions responsables et comme si nos idéaux avaient été réalisés.
Ainsi les militants pédagogiques, face aux attaques de ceux qui proposaient le retour aux « bonnes vieilles méthodes » pour lutter contre la baisse de niveau, se sont-ils mis parfois dans une posture de déni, en rupture avec leur « insurrection fondatrice » : « Mais non, tout va bien, le niveau n’est pas si mauvais, les jeunes ne posent pas de problèmes, les classes fonctionnent bien, etc. » La presse, les médias, par les configurations des débats qu’ils ont organisés – un partisan du retour au passé contre un « pédagogue » - nous ont placés en situation de défendre d’hypothétiques acquis sans pouvoir montrer le caractère de rupture de nos propositions. Au point que, pour l’opinion publique, nous sommes devenus les partisans de l’immobilisme contre ceux du mouvement !
Moi-même, alors que je me définissais comme un insurgé, j’ai ainsi été perçu souvent comme un défenseur du statu quo par ceux et celles qui, en réalité, ne voyaient en moi qu’un obstacle à leur désir de revenir en arrière. Il m’est alors arrivé d’être en situation de défendre l’indéfendable, de chercher désespérément des progrès dans un système dont je condamnais complètement le mode de fonctionnement, de prétendre que les choses n’allaient pas si mal, alors que toute mon énergie venait de mon désir de les transformer. »…
L’autoritarisme se nourrit de ce phénomène de société, y compris pour enrôler un certain nombre de nos concitoyens qui ne sont a priori ni conservateurs, ni autoritaristes, mais qui, simplement, se disent que, si, dans les années 1950 où la société était très normée, il était nécessaire de développer des enclaves libertaires, aujourd’hui, quand la société est devenue hyper libertaire, il est nécessaire de développer une éducation très normée normées. Et les gens qui développent ce discours ne le font pas toujours dans une perspective réactionnaire, mais quelquefois dans une perspective de simple rétablissement de l’équilibre… Car il faut se souvenir que les intellectuels de la première partie du 20ème siècle considéraient l’école comme un lieu de la « pédagogie noire », très normée – collèges jésuites, internats « terribles »… et que Summerhill, par exemple, était une enclave libertaire qu’il fallait faire exister contre ce système hyper normatif. Aujourd’hui les mêmes intellectuels, parisiens pour la plupart, considèrent que, dans un système très « libéré », tant au plan familial que social, l’école doit fonctionner en instituant des enclaves de normalisation absolument indispensables.
Il nous faut prendre conscience de ce mouvement de balancier qui relève de réflexes sociologiques explicables, mais ne constitue en rien une « théorie de l’éducation » acceptable. Impossible de confondre la pédagogie – en tant que réflexion rigoureuse sur les conditions d’émergence d’un sujet, à la fois intégré dans une histoire et libre de prendre ses distances avec elle – avec des réactions de peur collective, des emballements médiatiques et des calculs politiciens. Notre avenir ne peut dépendre de coups de boutoir d’un côté ou de l’autre. Pas plus que la société répressive du XIXe et du début du XXe siècles n’appelait « automatiquement » une éducation libertaire, la société libérale n’appelle une éducation répressive. Les sociétés, quelles qu’elles soient, appellent une véritable éducation cohérente avec leurs finalités. Et, pour ce qui nous concerne, nous avons besoin, je crois, d’une véritable éducation à la démocratie : une éducation de sujets capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent, d’échapper à toutes les formes d’emprise et de s’associer pour chercher ensemble le bien commun."...
Je pense qu’en effet il y a une baisse du niveau et que, à force de nier l’évidence, on se discrédite et l’on se ridiculise. Cette baisse n’est pas globale, ni dans tous les domaines, mais elle existe dans des secteurs où elle a été mise particulièrement en évidence – l’orthographe, la grammaire – mais aussi pour ce qui est des repères historiques et culturels… Continuons à nier cette réalité et nous ne parviendrons pas à ce que les étudiants à l’université soient à même de manipuler correctement le français à l’écrit par exemple.
Je voudrais souligner aussi que « Oui ! » il y a des établissements difficiles où même les militants pédagogiques que nous sommes ne mettraient pas systématiquement leurs enfants. Certains établissements sont de « vrais barils de nitroglycérine », dont on ne sait pas s’ils pourront subsister longtemps et s’il ne faudra pas y faire entrer bientôt des mercenaires pour pouvoir y enseigner.
Je voudrais également dire que « oui ! », il y a eu des caricatures de l’Education nouvelle, caricatures qui nous ont particulièrement desservis. Il y a eu des amalgames entre certaines formes de « libertarisme » et l’Éducation nouvelle. Et je ne vise pas là particulièrement « Mai 68 » qui est un moment historique important d’une extraordinaire richesse et complexité que l’idéologie ambiante a tendance à confondre avec une simple convulsion de l’individualisme libertaire.
L’Éducation nouvelle, contrairement aux lieux communs qui traînent un peu partout, ne s’est jamais reconnue dans Libres enfants de Summerhill, même si certains de ses militants ont été fascinés par cette expérience. De même, l’Éducation nouvelle n’est pas réductible à la non-directivité, apparue bien plus tard et si mal comprise : là où il n’y avait à trouver, selon l’expression de Daniel Hameline qu’une « hygiène mentale » capable de nous dégager de nos velléités d’emprise, on a cherché indûment un système d’enseignement et une théorie de la culture.
De même, l’Éducation nouvelle n’a pas à endosser toutes les dérives d’une didactique technocratique et jargonneuse, qui n’a rien à voir avec ses principes, escamote la question du sujet comme celle de la relation pédagogique, oublie la dimension anthropologique et philosophique de la transmission. Il ne faut pas, par une sorte de solidarité inutile avec des « réformateurs didacticiens » - qui ne nous la rendront pas, d’ailleurs ! – défendre l’indéfendable ou s’excuser de ce que nous n’avons pas fait.
Tout cela, évidemment, n’est pas très « pédagogiquement correct ». Pour autant, je ne suis pas de ceux qui disent que le passé est merveilleux et qu’il faut revenir au temps où les enfants obéissaient « au doigt et à l’œil » (ou « à la loi et à l’œil », selon un célèbre lapsus). Mais je pense que, dans les dix dernières années, nous sommes restés sur une position beaucoup trop défensive. Face à des retours en arrière revendiqués ou à des positions ouvertement réactionnaires, nous avons été acculés à défendre le statu quo… qui nous apparaissait, quand même, moins mauvais que ce qu’on nous proposait. Et, au bout du compte, nous avons même, parfois, été amenés à défendre l’état actuel du système comme si nous en étions responsables et comme si nos idéaux avaient été réalisés.
Ainsi les militants pédagogiques, face aux attaques de ceux qui proposaient le retour aux « bonnes vieilles méthodes » pour lutter contre la baisse de niveau, se sont-ils mis parfois dans une posture de déni, en rupture avec leur « insurrection fondatrice » : « Mais non, tout va bien, le niveau n’est pas si mauvais, les jeunes ne posent pas de problèmes, les classes fonctionnent bien, etc. » La presse, les médias, par les configurations des débats qu’ils ont organisés – un partisan du retour au passé contre un « pédagogue » - nous ont placés en situation de défendre d’hypothétiques acquis sans pouvoir montrer le caractère de rupture de nos propositions. Au point que, pour l’opinion publique, nous sommes devenus les partisans de l’immobilisme contre ceux du mouvement !
Moi-même, alors que je me définissais comme un insurgé, j’ai ainsi été perçu souvent comme un défenseur du statu quo par ceux et celles qui, en réalité, ne voyaient en moi qu’un obstacle à leur désir de revenir en arrière. Il m’est alors arrivé d’être en situation de défendre l’indéfendable, de chercher désespérément des progrès dans un système dont je condamnais complètement le mode de fonctionnement, de prétendre que les choses n’allaient pas si mal, alors que toute mon énergie venait de mon désir de les transformer. »…
***
… « Certains d’entre eux sont mus par une réelle angoisse et de bonne foi. Il existe des parents qui ont peur devant le comportement de leurs enfants et se sentent complètement perdus. Il existe des enseignants, complètement désarmés face à ce qu’ils rencontrent dans leurs classes. Il existe des acteurs sociaux, dans tous les domaines, qui ne voient d’autre solution à la situation actuelle que la répression.L’autoritarisme se nourrit de ce phénomène de société, y compris pour enrôler un certain nombre de nos concitoyens qui ne sont a priori ni conservateurs, ni autoritaristes, mais qui, simplement, se disent que, si, dans les années 1950 où la société était très normée, il était nécessaire de développer des enclaves libertaires, aujourd’hui, quand la société est devenue hyper libertaire, il est nécessaire de développer une éducation très normée normées. Et les gens qui développent ce discours ne le font pas toujours dans une perspective réactionnaire, mais quelquefois dans une perspective de simple rétablissement de l’équilibre… Car il faut se souvenir que les intellectuels de la première partie du 20ème siècle considéraient l’école comme un lieu de la « pédagogie noire », très normée – collèges jésuites, internats « terribles »… et que Summerhill, par exemple, était une enclave libertaire qu’il fallait faire exister contre ce système hyper normatif. Aujourd’hui les mêmes intellectuels, parisiens pour la plupart, considèrent que, dans un système très « libéré », tant au plan familial que social, l’école doit fonctionner en instituant des enclaves de normalisation absolument indispensables.
Il nous faut prendre conscience de ce mouvement de balancier qui relève de réflexes sociologiques explicables, mais ne constitue en rien une « théorie de l’éducation » acceptable. Impossible de confondre la pédagogie – en tant que réflexion rigoureuse sur les conditions d’émergence d’un sujet, à la fois intégré dans une histoire et libre de prendre ses distances avec elle – avec des réactions de peur collective, des emballements médiatiques et des calculs politiciens. Notre avenir ne peut dépendre de coups de boutoir d’un côté ou de l’autre. Pas plus que la société répressive du XIXe et du début du XXe siècles n’appelait « automatiquement » une éducation libertaire, la société libérale n’appelle une éducation répressive. Les sociétés, quelles qu’elles soient, appellent une véritable éducation cohérente avec leurs finalités. Et, pour ce qui nous concerne, nous avons besoin, je crois, d’une véritable éducation à la démocratie : une éducation de sujets capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent, d’échapper à toutes les formes d’emprise et de s’associer pour chercher ensemble le bien commun."...
Lire l’ensemble du texte ou le télécharger ici.