Le livre participatif. (1)
Souvenez-vous, il y a quelques mois. L'époque était à la démocratie participative. Chacun était invité à dire son mot... C'est décidé, je continue. Il m'arrive d'écrire quelques notes sur la culture et ses politiques, qui pourraient se trouver réunies prochainement dans un livre. J'ai décidé de tenter l'expérience : mettre à votre disposition au fur et à mesure quelques passages rédigés. Pour avoir votre avis, vos commentaires éventuels... Voici le premier coup de clavier...
Vive la démocratisation culturelle !
« La démocratisation culturelle est un échec ! » Cette affirmation est une des denrées les mieux vendues sur le marché des idées simplistes sur la culture et des politiques culturelles. Espérée depuis Malraux, voulue par d’innombrables acteurs de la création et de la diffusion artistique, relayée par de très nombreux élus et responsables territoriaux depuis les années 50, la politique de « démocratisation » serait « objectivement » la cause de toutes nos difficultés. Le thème est repris à gauche comme à droite. Exemples. « Les politiques culturelles mises en oeuvre depuis la création du ministère de la culture en 1959 ont rompu avec les ambitions démocratiques issues du front populaire et de la libération. Ces politiques publiques n’ont eu aucun impact en matière de démocratisation. C’est le constat établi, pour une longue période - de 1973 à 1998 -, par l’observation de la progression des pratiques culturelles des classes populaires, en particulier celles des employés et des ouvriers. A la lecture de ces données, on sait aujourd’hui que l’objectif de démocratisation d’André Malraux et de ses successeurs ne fut qu’un mythe. Il faut donc faire porter la critique sur les principes fondateurs d’une politique d’Etat dont les effets de redistribution sociale n’ont pas été concluants. » écrit Philippe Livar (La Forge). Argument de gauche ! « Les acquis de cette politique sont considérables : une offre artistique foisonnante, des musées et des monuments rénovés, un cinéma rivalisant avec la production internationale. Ces succès ne doivent cependant pas faire oublier les lacunes et les ratés : un déséquilibre persistant entre Paris et les régions, une politique d'addition de guichets et de projets au détriment de la cohérence d'ensemble, une prise en compte insuffisante des publics, et surtout l'échec de l'objectif de démocratisation culturelle. De fait, notre politique culturelle est l'une des moins redistributives de notre pays. Financée par l'argent de tous, elle ne bénéficie qu'à un tout petit nombre » affirme Nicolas Sarkozy, Président de la République dans sa « lettre de mission » à Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Argument de droite ! Cherchez la différence !
Bien d’autres textes et prises de position de responsables politiques, institutionnels, universitaires, journalistes, professionnels… reprennent en chœur les mêmes arguments. Et puisque « l’échec » est avéré, pourquoi ne pas jeter ensemble le bébé et l’eau du bain ? Et la baignoire avec !
Bref, il serait urgent d’en finir définitivement avec cette illusion démocratique qui affirmait naïvement vouloir « élargir le cercle des connaisseurs » en aménageant des espaces culturels, en présentant des œuvres artistiques et en mobilisant les publics par une « action culturelle » aussi ringarde qu’inutile. Il convient dorénavant « d’éduquer » ce peuple qui, malgré tous les efforts consentis, rechigne à s’abreuver aux fontaines des institutions culturelles, pourtant toujours plus nombreuses, mises à sa disposition. Vive l’éducation artistique et culturelle ! désormais unanimement encensée. Hormis ce slogan d’absolu consensus et de malentendus profonds (qui confond l’éducation et les enseignements, les pratiques artistiques et l’histoire des arts), les potions magiques suggérées sont aussi multiples que les médecins qui se penchent sur le malade. Pour en finir avec « la crise », avec le «malaise » ou avec « l’impasse», il faut résolument « réformer », « refonder », « métamorphoser », « diversifier », «décentraliser », « privatiser »… la culture et ses politiques. Le plus radical des remèdes étant suggéré par notre Grand Timonier, dans sa lettre historique à sa collaboratrice ministre : « … Il est décidé d'abandonner les politiques qui ne marchent pas au profit de politiques qui marchent… » Sommet de complexité intellectuelle ! Bon sang, mais c’est bien sûr ! Il suffisait d’y penser !
Allons à l’essentiel. Tordons le cou à cette affirmation. Non, la « démocratisation culturelle » française, menée depuis une cinquantaine d’année, n’est pas un « échec ». Elle constitue même un grand succès pour les très nombreux acteurs qui s’y sont engagés. Des années cinquante à aujourd’hui, la France de la culture s’est profondément transformée. Les offres culturelles les plus diverses se sont répandues sur le territoire. Quelle ville n’a pas actuellement son centre culturel, son théâtre, son musée, son (ses) festival(s), son centre d’art contemporain… ? Quelle région se trouve dépourvue de compagnies, d’orchestres, d’ensembles chorégraphiques… ? Combien sont-ils les « professionnels » de la profession qui ont accompli dans ces domaines (et qui accomplissent) des parcours (parfois des « carrières) difficiles, dignes et respectables ? Ils seraient trop nombreux, dit-on aujourd’hui, qui grèvent paraît-il les budgets des Assedic ou les subventions publiques qu’il faudrait réduire d’urgence ! Un «échec », cet aménagement du territoire, ce développement considérable de professions associées aux actions culturelles ? Et les publics : ces millions d’individus qui fréquentent les lieux et les spectacles, les expositions et les concerts, plus nombreux que ceux des stades de football, quantité négligeable ? Un « échec » que d’arriver à les mobiliser autour de phénomènes artistiques parfois « non identifiés », complexes, difficiles, incertains ? L’honnêteté et le respect du travail accompli poussent à reconnaître que tout cela n’était pas gagné d’avance, ni même que cela soit acquis définitivement.
La « démocratisation culturelle » était un projet humaniste et politique, un espoir partagé, une utopie collective essentielle sans laquelle tout cela n’aurait sans doute jamais été réalisé. Il se pourrait, d’ailleurs, que cette notion serve encore un moment de point d’appuis (ou de point de fuite), justifiant pour beaucoup de nos concitoyens les financements publics qui sont accordés aux politiques culturelles.
Car quoi ! Imaginons que cette perspective soit définitivement abandonnée. Terminée, la préoccupation de «l’exigence artistique pour le plus grand nombre ». Enterré, l’espoir de « conquête » ou « d’élargissement » des publics. Table rase sur tout ce qui a été construit depuis tant d’années. On ferme les musées, les bibliothèques, les scènes nationales… Un responsable politique pourrait écrire alors à sa ministre : « La démocratisation culturelle, c'est… veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public... Vous exigerez de chaque structure subventionnée qu'elle rende compte de son action et de la popularité de ses interventions, vous leur fixerez des obligations de résultats et vous empêcherez la reconduction automatique des aides et des subventions. » Pour faire du chiffre, les musées, par exemple, seront gratuits. Mais pourquoi pas les théâtres, les concerts, les expositions, les cinémas ? Mieux, réhabilitons le « théâtre obligatoire » comme le suggérait Karl Valentin, là au moins les statistiques seraient valorisantes ! Et pour l’élitisme, voyez ARTE et France Culture ! Ce sera bien suffisant. Le populisme en lieu et place du populaire, l’audimat en guise d’évaluation, la «culture du résultat » comme seul critère de soutien et le tour est joué ! Nous y sommes !
Entendons-nous : à l’évidence, les politiques culturelles de ces cinquante dernières années n’ont pas eu que des succès. Bien des éléments peuvent, doivent être modifiés, adaptés, développés dans l’approche et la mise en œuvre de ces actions. Mais prétendre à l’échec absolu est une aberration. Ou alors, le même raisonnement devrait être appliqué à bien d’autres domaines de la vie publique : « l’échec » de l’Ecole républicaine (malgré le budget de l’éducation nationale, il reste des illettrés et tous ne sont pas ingénieurs à la sortie…) Vite, favorisons l’autorité, les fondamentaux, le travail, le mérite… et l’école privée ! Mais aussi « l’échec » du système public de santé (malgré le trou de la sécu, il reste des gens malades, parfois même des morts…) Ou encore, « l’échec » de la politique des transports (il reste des embouteillages dans les villes, des accidents sur les routes…), de la politique économique (il reste des chômeurs), de la politique sociale (il reste des smicards), de la politique de sécurité (il reste des agresseurs…), de la politique d’immigration (il reste des clandestins et des immigrés non intégrés…) J’en passe ! Cinquante années n’ont pas été suffisantes pour résoudre définitivement touts ces problèmes. Certains poussent le raisonnement et dénoncent en réalité « l’échec »… de la démocratie elle-même ! Il est vrai que ce système est dangereux. Incertain ! Il ne répond pas au principe de précaution, amène parfois les « socialo-communistes » au pouvoir. Pire : la plupart des dictateurs n’ont-ils pas été « démocratiquement » élus ? Vite, instituons, comme le propose Guy Bedos, un « permis de vote » (il y a bien un permis de conduire, un permis de chasse, un permis de séjour, un permis de travail…) ? Elire un dirigeant n’est-ce pas plus important que de tirer un lapin ?
Mais revenons à nos moutons culturels !
Le rappel qui vient d’être fait ne nous exonère pas, loin s’en faut, de voir le monde tel qu’il est. Bien sûr, il y a « crise » des politiques publiques de l’art et de la culture, au sens où l’entendent les chinois dans la définition de ce mot : «danger et espoir ». Bien entendu, le projet de « démocratisation », tel qu’il a été développé dans notre pays, a trouvé ses limites, principalement sur la composition sociologique des publics. A l’évidence, le monde a changé, change (et changera) : l’urbanisme, le chômage de masse, la mondialisation, les industries culturelles, les nouvelles technologies… n’existaient pas dans les années cinquante. Il importe donc d’adapter le projet aux conditions nouvelles de sa réalisation. Mais n’est-ce pas le principe même de toute action ou politique artistique et culturelle, que de se plier aux évolutions de l’art comme aux conditions nouvelles de sa création et de sa diffusion ? « Il n’y a de crise au théâtre que lorsque le théâtre n’exprime pas la crise » écrivait Eugène Ionesco. Nous pourrions paraphraser en affirmant : « il n’y a de crise culturelle que lorsque la politique n’exprime pas la crise… de la culture!» Mais de quoi s’agit-il ? De quelle « crise » parlons-nous ? Et quelles pourraient être les pistes nouvelles à explorer ? Puisque le débat est ouvert sur ces questions, ajoutons-y notre grain de sel !
Bien d’autres textes et prises de position de responsables politiques, institutionnels, universitaires, journalistes, professionnels… reprennent en chœur les mêmes arguments. Et puisque « l’échec » est avéré, pourquoi ne pas jeter ensemble le bébé et l’eau du bain ? Et la baignoire avec !
Bref, il serait urgent d’en finir définitivement avec cette illusion démocratique qui affirmait naïvement vouloir « élargir le cercle des connaisseurs » en aménageant des espaces culturels, en présentant des œuvres artistiques et en mobilisant les publics par une « action culturelle » aussi ringarde qu’inutile. Il convient dorénavant « d’éduquer » ce peuple qui, malgré tous les efforts consentis, rechigne à s’abreuver aux fontaines des institutions culturelles, pourtant toujours plus nombreuses, mises à sa disposition. Vive l’éducation artistique et culturelle ! désormais unanimement encensée. Hormis ce slogan d’absolu consensus et de malentendus profonds (qui confond l’éducation et les enseignements, les pratiques artistiques et l’histoire des arts), les potions magiques suggérées sont aussi multiples que les médecins qui se penchent sur le malade. Pour en finir avec « la crise », avec le «malaise » ou avec « l’impasse», il faut résolument « réformer », « refonder », « métamorphoser », « diversifier », «décentraliser », « privatiser »… la culture et ses politiques. Le plus radical des remèdes étant suggéré par notre Grand Timonier, dans sa lettre historique à sa collaboratrice ministre : « … Il est décidé d'abandonner les politiques qui ne marchent pas au profit de politiques qui marchent… » Sommet de complexité intellectuelle ! Bon sang, mais c’est bien sûr ! Il suffisait d’y penser !
Allons à l’essentiel. Tordons le cou à cette affirmation. Non, la « démocratisation culturelle » française, menée depuis une cinquantaine d’année, n’est pas un « échec ». Elle constitue même un grand succès pour les très nombreux acteurs qui s’y sont engagés. Des années cinquante à aujourd’hui, la France de la culture s’est profondément transformée. Les offres culturelles les plus diverses se sont répandues sur le territoire. Quelle ville n’a pas actuellement son centre culturel, son théâtre, son musée, son (ses) festival(s), son centre d’art contemporain… ? Quelle région se trouve dépourvue de compagnies, d’orchestres, d’ensembles chorégraphiques… ? Combien sont-ils les « professionnels » de la profession qui ont accompli dans ces domaines (et qui accomplissent) des parcours (parfois des « carrières) difficiles, dignes et respectables ? Ils seraient trop nombreux, dit-on aujourd’hui, qui grèvent paraît-il les budgets des Assedic ou les subventions publiques qu’il faudrait réduire d’urgence ! Un «échec », cet aménagement du territoire, ce développement considérable de professions associées aux actions culturelles ? Et les publics : ces millions d’individus qui fréquentent les lieux et les spectacles, les expositions et les concerts, plus nombreux que ceux des stades de football, quantité négligeable ? Un « échec » que d’arriver à les mobiliser autour de phénomènes artistiques parfois « non identifiés », complexes, difficiles, incertains ? L’honnêteté et le respect du travail accompli poussent à reconnaître que tout cela n’était pas gagné d’avance, ni même que cela soit acquis définitivement.
La « démocratisation culturelle » était un projet humaniste et politique, un espoir partagé, une utopie collective essentielle sans laquelle tout cela n’aurait sans doute jamais été réalisé. Il se pourrait, d’ailleurs, que cette notion serve encore un moment de point d’appuis (ou de point de fuite), justifiant pour beaucoup de nos concitoyens les financements publics qui sont accordés aux politiques culturelles.
Car quoi ! Imaginons que cette perspective soit définitivement abandonnée. Terminée, la préoccupation de «l’exigence artistique pour le plus grand nombre ». Enterré, l’espoir de « conquête » ou « d’élargissement » des publics. Table rase sur tout ce qui a été construit depuis tant d’années. On ferme les musées, les bibliothèques, les scènes nationales… Un responsable politique pourrait écrire alors à sa ministre : « La démocratisation culturelle, c'est… veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public... Vous exigerez de chaque structure subventionnée qu'elle rende compte de son action et de la popularité de ses interventions, vous leur fixerez des obligations de résultats et vous empêcherez la reconduction automatique des aides et des subventions. » Pour faire du chiffre, les musées, par exemple, seront gratuits. Mais pourquoi pas les théâtres, les concerts, les expositions, les cinémas ? Mieux, réhabilitons le « théâtre obligatoire » comme le suggérait Karl Valentin, là au moins les statistiques seraient valorisantes ! Et pour l’élitisme, voyez ARTE et France Culture ! Ce sera bien suffisant. Le populisme en lieu et place du populaire, l’audimat en guise d’évaluation, la «culture du résultat » comme seul critère de soutien et le tour est joué ! Nous y sommes !
Entendons-nous : à l’évidence, les politiques culturelles de ces cinquante dernières années n’ont pas eu que des succès. Bien des éléments peuvent, doivent être modifiés, adaptés, développés dans l’approche et la mise en œuvre de ces actions. Mais prétendre à l’échec absolu est une aberration. Ou alors, le même raisonnement devrait être appliqué à bien d’autres domaines de la vie publique : « l’échec » de l’Ecole républicaine (malgré le budget de l’éducation nationale, il reste des illettrés et tous ne sont pas ingénieurs à la sortie…) Vite, favorisons l’autorité, les fondamentaux, le travail, le mérite… et l’école privée ! Mais aussi « l’échec » du système public de santé (malgré le trou de la sécu, il reste des gens malades, parfois même des morts…) Ou encore, « l’échec » de la politique des transports (il reste des embouteillages dans les villes, des accidents sur les routes…), de la politique économique (il reste des chômeurs), de la politique sociale (il reste des smicards), de la politique de sécurité (il reste des agresseurs…), de la politique d’immigration (il reste des clandestins et des immigrés non intégrés…) J’en passe ! Cinquante années n’ont pas été suffisantes pour résoudre définitivement touts ces problèmes. Certains poussent le raisonnement et dénoncent en réalité « l’échec »… de la démocratie elle-même ! Il est vrai que ce système est dangereux. Incertain ! Il ne répond pas au principe de précaution, amène parfois les « socialo-communistes » au pouvoir. Pire : la plupart des dictateurs n’ont-ils pas été « démocratiquement » élus ? Vite, instituons, comme le propose Guy Bedos, un « permis de vote » (il y a bien un permis de conduire, un permis de chasse, un permis de séjour, un permis de travail…) ? Elire un dirigeant n’est-ce pas plus important que de tirer un lapin ?
Mais revenons à nos moutons culturels !
Le rappel qui vient d’être fait ne nous exonère pas, loin s’en faut, de voir le monde tel qu’il est. Bien sûr, il y a « crise » des politiques publiques de l’art et de la culture, au sens où l’entendent les chinois dans la définition de ce mot : «danger et espoir ». Bien entendu, le projet de « démocratisation », tel qu’il a été développé dans notre pays, a trouvé ses limites, principalement sur la composition sociologique des publics. A l’évidence, le monde a changé, change (et changera) : l’urbanisme, le chômage de masse, la mondialisation, les industries culturelles, les nouvelles technologies… n’existaient pas dans les années cinquante. Il importe donc d’adapter le projet aux conditions nouvelles de sa réalisation. Mais n’est-ce pas le principe même de toute action ou politique artistique et culturelle, que de se plier aux évolutions de l’art comme aux conditions nouvelles de sa création et de sa diffusion ? « Il n’y a de crise au théâtre que lorsque le théâtre n’exprime pas la crise » écrivait Eugène Ionesco. Nous pourrions paraphraser en affirmant : « il n’y a de crise culturelle que lorsque la politique n’exprime pas la crise… de la culture!» Mais de quoi s’agit-il ? De quelle « crise » parlons-nous ? Et quelles pourraient être les pistes nouvelles à explorer ? Puisque le débat est ouvert sur ces questions, ajoutons-y notre grain de sel !
(A suivre)
Merci de ne considérer ce texte que comme une première ébauche.
Les commentaires sont bienvenus.
Merci de ne considérer ce texte que comme une première ébauche.
Les commentaires sont bienvenus.