Le Nouveau Théâtre Populaire est arrivé !

Publié le par JGC

 

Cet article vient de paraître sur le site culturelink.fr

De génération en génération, le théâtre se réinvente. La tentation d’un théâtre authentiquement populaire réapparait, qui pousse de jeunes artistes à imaginer un lieu nouveau, une autre manière de toucher des publics. Un répertoire adapté, une esthétique singulière, un mode de production innovant.

Ce fut le cas pour le Théâtre du Peuple de Maurice Pottecher à la fin XIXe siècle à Bussang dans les Vosges, pour les Copiaux de Jacques Copeau dans les années vingt en Bourgogne, pour le Théâtre National Populaire de Vilar après la guerre, en banlieue parisienne puis à Chaillot et Avignon, pour le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie de Vincennes dans les années soixante, pour ne citer que les plus connues. Ces expériences, menées sans ambition institutionnelle, hors des circuits installés, auront finalement marqué profondément le théâtre de leur époque.

Dans l’archipel actuel de la jeune création théâtrale, une aventure exceptionnelle a vu le jour il y a dix ans déjà, dans la plus grande discrétion, qui s’inscrit dans le courant de ces aînés. Le Festival du Nouveau Théâtre Populaire (NTP) se tient chaque année au mois d’août à Fontaine-Guérin, en Anjou. Dans ce village d’un millier d’habitants, une bande de jeunes acteurs et metteurs en scène réalisent, depuis onze ans, leur rêve de théâtre à la fois exigeant et attractif, sérieux et festif, convivial et populaire. 

Au commencement était un groupe de lycéens, fous de théâtre, qui se lamentaient des difficultés à trouver leur place dans le théâtre parisien ou avignonnais. Ils se mirent à rêver d’un départ à la campagne, sur un territoire théâtralement vierge, éloigné de toute agitation médiatique, pourquoi pas en Ardèche… ce sera l’Anjou ! L’un d’entr’eux, Lazare Herson Macarel, interroge sa grand’mère, propriétaire de la maison familiale à Fontaine-Guérin qui accepte d’accueillir son petit-fils et ses copains pour l’été 2009. Ils ont vingt ans, construisent de leurs mains le « plateau Jean Vilar » dans le jardin en pente qui jouxte le cimetière, répètent en quelques jours Le Misanthrope et Roméo et Juliette, rédigent des tracts qu’ils distribuent chez les commerçants alentours. Quelques dizaines de personnes se risquent à venir assister aux spectacles, cinquante sept à la première, une centaine à la dernière. Dix ans plus tard, plus de dix mille spectateurs sont accueillis chaque été dans le même jardin, pour les six spectacles proposés au cours de la quinzaine. Une aventure est née, un public s’est constitué, un territoire s’est mobilisé, le rêve est devenu réalité. 

Un collectif 
Le Nouveau Théâtre Populaire c’est avant tout un collectif* d’une vingtaine d’artistes, comédiens et metteurs en scène, techniciens et administratifs. Le principe du groupe est la cooptation, limitée à vingt personnes pour ne pas se perdre dans un ensemble trop important. Si besoin, certains comédiens peuvent être invités, pour une saison seulement. Aucune hiérarchie dans ce groupe, aucun directeur, toutes les paroles se valent et toutes les décisions se prennent collectivement. Aucun leader n’est affiché, mais pas non plus de leader caché comme il en existe si souvent dans les structures prétendument collectives. Aucune fonction n’est définitive, chacun peut faire une proposition, adapter un texte, jouer, mettre en scène ; tous se partagent l’accueil du public, la buvette, les démarches administratives autant que les nécessités techniques. Au fil des années, une trentaine de bénévoles est venue aider aux tâches matérielles, ils ajoutent à la bonne marche de l’aventure et à l’ancrage territorial du projet. 

Chaque année, le programme de l’année suivante est voté après de longues discussions sur les propositions de chacun. Une fois les spectacles décidés, les porteurs de projets deviennent seuls maîtres à bord, ils assument la distribution et la mise en scène. Les comédiens assurent tantôt des rôles majeurs, tantôt des rôles moins importants, aucun vedettariat n’est favorisé. L’originalité et la force de ce collectif, c’est qu’au cours de l’année, chacun vit sa vie artistique ailleurs, intermittent du spectacle, responsable de compagnie, régisseur. Cette respiration essentielle nourrit l’envie et le besoin de se retrouver. La singularité de chacun enrichit le collectif, et inversement. Le NTP a toutes les vertus d’une troupe permanente… intermittente ! La condition indispensable à la pérennité de l’aventure, outre l’affection et la bienveillance, la solidarité réelle, l’organisation stricte, c’est un projet général partagé : développer avec enthousiasme et sincérité une démarche artistique authentique, libre et démocratique, pour un public large et renouvelé. 

Un projet partagé 
Le choix de l’acronyme NTP (jusqu’à l’adoption de la même police de caractère , graphisme de JACNO) dit le sens du projet et sa filiation assumée avec le mythique TNP de Jean Vilar. Il s’agit de faire un théâtre exigeant dans le choix des oeuvres et cependant accessible au plus large public. Le NTP assume ce double objectif : répondre au désir artistique de ses membres, s’accorder le plaisir de jouer des grandes oeuvres qu’ailleurs on ne leur demanderait jamais de jouer, se permettre des distributions nombreuses, assumer le risque artistique et, en même temps, atteindre un très large public, s’inscrire durablement dans le territoire rural qui les accueille.

Le choix du répertoire abordé en dix éditions en témoigne : d’abord les grands classiques Shakespeare (Othello, Hamlet), Molière (Le Misanthrope), Feydeau (La Dame de chez Maxim), Corneille (Le Cid), Tchekhov (La Cerisaie), Rabelais (Gargantua), Victor Hugo (Ruys Blas), Maeterlinck ( Pelléas et Mélisande), Buchner (La Mort de Danton), Balzac (Splendeurs et misères d’une courtisane ; Les Illusions perdues)… jusqu’aux auteurs contemporains Novarina (Falstafe), Bertina (Les Châteaux qui brûlent), Viripaiev (Les Enivrés), Houellebecq, (La Possibilité d’une île), Barker (Les Possibilités) Todorov (Robin des bois)… En dix ans, plus de cinquante spectacles ont été proposés qui tracent comme une oeuvre collective à la manière de Vilar qui lui aussi, partait des grandes oeuvres du répertoire pour s’aventurer ensuite vers des écritures contemporaines. 

Cette démarche, inscrite dans la durée, a permis la constitution d’un public nombreux, fidèle, authentiquement populaire, constitué à la fois d’habitués de la chose théâtrale, enseignants ou retraités, mais également de très nombreux primo-spectateurs, jeunes et moins jeunes, qui n’abordent que très rarement le théâtre. Le prix des places, comme le lieu même du festival, favorisent cet élargissement. Les premières années, le tarif unique de 5€ a permis à de nombreux spectateurs de venir en famille, de revenir voir plusieurs spectacles ou encore de venir assister plusieurs fois au même spectacle. Désormais le prix d’entrée est, au choix et sans condition, de 5, 10 ou 15€. Un « chapeau » posé à la sortie permet d’augmenter la recette, au bon vouloir des spectateurs. Liberté tarifaire donc, mais surtout grande liberté symbolique d’entrer, non dans un théâtre institutionnel si souvent intimidant mais dans une maison particulière, un vaste jardin accueillant, en plein air, en plein jour.

Comme à Bussang où la scène s’ouvre traditionnellement sur la montagne, comme à Avignon ou la Cour d’honneur dresse son mur imposant face au public, comme au Théâtre du Soleil, ancienne cartoucherie sans cesse modifiée au fil des créations, le jardin du NTP est un espace de jeu modulable très identifié. On joue partout, dans la grange, sous le tilleul, au fond du jardin et bien entendu sur le plateau nu, sans effets de lumière. Celui-ci s’appuie sur la maison, un cerisier abrite les coulisses et le clocher « tors » de l’église du village sonne toutes les demi-heures, perturbant à peine les représentations. Le soleil couchant et les coteaux de la Loire au loin, ajoutent à la beauté du lieu. 

L’engagement collectif des comédiens, la qualité et le sens des spectacles, la fidélité des spectateurs, l’espace, le temps, les oeuvres, les tarifs et le plaisir énorme de retrouver d’année en année, de spectacle en spectacle, les mêmes comédiens dans des rôle différents, tout ces éléments se mêlent pour faire du Festival NTP une aventure théâtrale et humaine hors du commun. Le logement des comédiens chez l’habitant, le partenariat avec le bistrot local qui assure la restauration dans le jardin, l’engagement des collectivités locales, la mairie de Fontaine-Guérin, la communauté des communes qui s’est portée acquéreur de la maison au décès de la propriétaire pour permettre la poursuite de l’aventure, tout cela contribue à la réussite du Festival et à son « infusion » territoriale.

Un pied dans l’Histoire ?
Au regard de l’engagement des membres du NTP, du mode d’organisation, de la qualité des spectacles, de la diversité et du nombre des publics, de l’engagement des comédiens dans l’encadrement d’ateliers de pratique artistique des collèges et des lycées, on peut s’interroger sur la dimension historique de l’aventure. Rien ne dit qu’elle marquera l’histoire du théâtre de notre époque, et pourtant… Qui aurait dit, au départ, qu’un Théâtre de bois joué par des amateurs au coeur des Vosges, qu’une bande de jeunes acteurs dans un village en Bourgogne ou dans une Cartoucherie désaffectée, feraient l’objet, quelques années plus tard, de références historiques majeures ?

Si on ne mesure jamais la dimension d’une épopée au moment où elle se développe, je tiens le pari que ceux qui y participent aujourd’hui, acteurs comme spectateurs, resteront à jamais imprégnés du jardin de Fontaine-Guérin et des propositions du NTP, comme d’autres, avant eux, évoquaient le grand escalier de Chaillot ou la Cour d’Honneur d’Avignon. On parlera peut-être, plus tard, de ce qui constitue, pour cette génération, un lieu exceptionnel de formation et d’incitation à la création. La maison sera bientôt ouverte toute l’année pour accueillir d’autres compagnies en résidence, une nouvelle étape. Le Nouveau Théâtre Populaire est arrivé ! 

Jean-Gabriel Carasso 

* Pauline Bolcatto, Valentin Boraud, Julien Campani, Philippe Canales, Baptiste Chabauty, Thomas Chrétien, Léo Cohen-Paperman, Emilien Diard-Detoeuf, Clovis Fouin, Joseph Fourez, Elsa Grzeszczak, Sophie Guibard, Lazare Herson-Macarel, Frédéric Jessua, Lola Lucas, Morgan Nairaud, Antoine Philippot, Julien Romelard, Claire Sermone, Sacha Todorov 

 

Deux films ont été réalisés sur le NTP, disponibles en DVD : 
« Les Héritiers de l’avenir », Jean-Gabriel Carasso/L’oizeau rare, 2015 
« Splendeurs et Illusions », Xavier Liebard/FR3 Pays de Loire, 2019
 

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C
Oui, le théâtre se réinvente actuellement. Mais on doit dire aussi qu’il a perdu sa signification sociale d’antan. On ne voit plus que des passionnés, des étudiants et tout dans les salles de théâtre de nos jours.
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